Histoire du Japon
qui décrivit dans sa vieillesse son éducation rigoureuse et la maîtrise de soi quasi inhumaine de son père, mort en 1679. Jusque récemment, les samurai conservateurs continuèrent de se conformer à ce type de stoïcisme. Sur leur mépris de l’argent, nous avons le témoignage de Fukuzavva Yukichi, qui, au milieu du xix« siècle, raconte la colère qu’éprouva son père en apprenant que son fils Yukichi apprenait l’arithmétique à l’école. Les chiffres étaient des outils bons pour les boutiquiers.
Kyüsö n’a pas de remède à offrir aux maux afférents au commerce. Il partage l’opinion classique qui veut que les campagnards bien traités sont simples et honnêtes, tandis que les citadins sont avides et dissolus. Il pense qu’il faut promulguer des lois draconiennes contre la prodigalité et la vie dissolue ; en tant que philosophe, il aurait pourtant dû savoir que les lois somptuaires sont toujours restées sans effet.
Il est étonnant que les Japonais aient adopté une doctrine étrangère que l’on pourrait a priori juger mal adaptée à leur tempérament ; mais il n’est pas moins étonnant qu’ils aient emprunté et rejeté selon leur convenance, accomplissant les prodiges d’éclectisme qui portent témoignage de la solidité de leur tradition nationale. Ainsi, lorsqu’ils développèrent leurs points de vue personnels, des hommes comme Fujiwara Seika, Hayashi Razan et Nakae Tôju n’éprouvèrent-ils aucune difficulté à concilier les croyances shintoïstes avec les principes athées du confucianisme.
SHINTOÏSME ET CONFUCIANISME
Dans la constellation des philosophes qui illuminèrent le ciel d’Edo, aucun ne brilla avec plus d’éclat que Yamazaki Ansai (1618-1682). Nous avons déjà parlé de sa vie à propos de sa critique de la famille Hayashi, mais nous allons ici en reprendre les grandes lignes afin d’en donner une idée plus complète. Fils de rônin né à Kyoto, Ansai devint moine zen alors qu’il était tout jeune homme. Plus tard, il étudia le confucianisme à Tosa avec un groupe de jeunes. En 1648, âgé de vingt-neuf ans, il retrouva Kyoto et la vie laïque. Après avoir approfondi la métaphysique de Zhu Xi, il développa un vocabulaire de son cru pour mieux définir son credo. Il se tourna ensuite vers l’enseignement, et, à la fin de sa vie, il reprit des études shintoïstes.
Il figure dans plusieurs anecdotes comme un excentrique et une forte tête. Une histoire fréquemment citée rapporte qu’il demanda à ses élèves ce que les disciples japonais de Confucius et de Mencius devraient faire si ceux-ci venaient envahir le Japon à la tête d’une nombreuse armée ; ses élèves demeurant silencieux, il dit que, pour sa part, il n’aurait aucune crainte : il revêtirait son armure et les prendrait vivant avec sa lance. Cette attitude était, selon lui, en parfait accord avec l’enseignement de Confucius et de Mencius eux-mêmes. Concernant le vaste éventail de ses intérêts, on prête en outre cette remarque à Itô Jinsai disant que ses enthousiasmes passaient si fréquemment d’un sujet à l’autre que, s’il avait vécu plus longtemps, il aurait fini dans la peau d’un missionnaire chrétien.
Dans son enthousiasme pour le culte national shintoïste, qui, au Moyen Age, était entré en composition avec le bouddhisme, Ansai était loin d’être seul. Hayashi Razan se servait du shinto comme allié du confucianisme contre le bouddhisme, ce qui était la tendance générale. Mais il devint aussi courant de teinter de confucianisme le credo national. Seika avait déjà proclamé qu’il existait une unité entre les deux écoles de pensée, et Hayashi lui emboîta le pas en disant qu’elles étaient effectivement identiques. Quant à Tokugawa Yoshinao, c’était un ardent shintoïste.
Parmi les lettrés de l’école confucianiste de Wang Yangming, Nakae Tôju avait écrit son Shintô taii (le Sens du shinto), où il assimilait les principes shintoïstes à certains concepts de la doctrine confucianiste de la mesure. Kumazawa Banzan alla encore plus loin, disant que le confucianisme n’était pas adapté au climat du Japon. Son langage élogieux est saisissant, car il prétend que, s’il venait au Japon, le Bouddha abandonnerait son idée d’une succession sans fin de mondes au profit de l’enseignement shintoïste. De même, les grands sages de la Chine et le nom même de confucianisme seraient oubliés au profit du shintô.
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