Histoire du Japon
de la famille, à son renforcement et à sa continuité. Tous les membres de la famille doivent subordonner leurs pensées et leurs actes à ces fins. La vertu dont dépend la famille est la piété filiale, le devoir d’un fils envers le chef de sa famille plutôt que l’allégeance d’un vassal à son seigneur. La piété filiale est en fait le fondement de l’éthique féodale, car c’est par l’extension de cette vertu que la soumission et l’obéissance à un supérieur en viennent à être considérées comme un aspect de la « pietas » à laquelle font appel le système de Zhu Xi et ses dérivés.
Pour comprendre la nature de la piété filiale, dit Nakae Tôju dans son Okina mondô, il faut considérer la dette de gratitude due aux parents pour leur affection – la chose est vraie partout et en tout temps, car l’amour naturel qui unit parents et enfants est universellement reconnu. Mais le développement de ce thème dans le Japon féodal fut poussé à l’extrême en traitant la gratitude filiale non pas comme un sentiment naturel mais comme une règle de conduite imposée de l’extérieur, forçant ainsi l’enfant à se soumettre aveuglément aux parents. Il est quelque peu surprenant de trouver cette doctrine chez Kaibara Ekken, qui (dans son Dôjikun, ou Instructions pour les enfants) avertit le père qu’il ne doit pas se laisser gouverner par l’instinct et doit éviter de se montrer doux et affectueux, car, prétend-il, une telle attitude est contraire à l’enseignement des sages, puisqu’elle signifie que l’enfant ne craint pas son père. Une semblable affection doit donc être réprimée. Selon Ekken : « L’enfant doit accepter en silence la censure de ses aînés. Il doit écouter respectueusement ce qu’ils disent, qu’ils aient tort ou raison. Aussi violent et offensant que puisse être leur langage, il ne doit pas montrer la plus petite trace de colère ou de ressentiment. »
Cette soumission absolue à la volonté du chef de la famille touche tous les aspects de la vie quotidienne. C’est le devoir du chef de la famille que de préserver son bon renom, et à cette fin il peut punir n’importe quel membre de la famille. Pour libérer sa parenté de toute responsabilité conjointe concernant un crime, il peut divorcer ou désavouer (et dans certains cas même tuer) un coupable.
Le rapport entre frères est aussi gouverné par l’âge. Les frères et sœurs cadets sont distincts de l’aîné. Ils sont moins bien traités par leurs parents en ce qui concerne la nourriture, les vêtements, le logement et leur éducation en général. C’est là un grand changement par rapport aux époques de Kamakura et de Muromachi, où l’héritier était choisi en vertu de ses qualités et non par primogéniture. C’est l’illustration d’un aspect rétrograde du conservatisme Tokugawa, qui se compare difficilement à l’idéal de piété filiale tel que les Japonais le cultivaient au Moyen Age.
Ce code sévère valut bien des difficultés aux fils cadets des samurai pauvres. Dans tous les fiefs où le revenu du daimyô était fixe, il était manifestement impossible pour les samurai de rangs inférieurs d’obtenir des pensions suffisantes pour élever sur le même pied l’aîné et ses cadets. Aussi capables qu’ils fussent, s’ils n’étaient adoptés par une autre famille, les fils cadets étaient contraints de vivre une vie de pauvreté ou de s’exiler en ville, où ils pouvaient soit trouver un emploi (ce qui leur faisait perdre leur statut de samurai) soit rejoindre les rangs des rônin.
Mais le pire traitement de tous était celui que devait subir la femme. Durant sa vie, elle devait se consacrer à ce qu’on appelait les « trois obéissances » (sanjü) : obéissance à ses parents lorsqu’elle était enfant, à son mari lorsqu’elle était mariée, à ses enfants lorsqu’elle prenait de l’âge. Trop de savoir était jugé gâter le caractère d’une fille, mais les classes moyennes et supérieures approuvaient une certaine instruction en musique, en littérature, en poésie et en écriture. Ces arts étaient censés s’exercer en privé, car la séparation des sexes était stricte. Il existait même une règle absurde, d’origine confucianiste, selon laquelle les garçons et les filles de plus de sept ans ne devaient pas s’asseoir ensemble, même pour les repas.
Les mariages étaient arrangés par les parents dans l’intérêt des
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