Histoire du Japon
Sorti des mots, c’est toutefois Yamazaki Ansai plutôt que Kumazawa Banzan qui favorisa le développement du mouvement shintoïste.
L’enthousiasme d’Ansai à l’égard des principes de Zhu Xi était de nature émotionnelle, et, d’un système métaphysique complexe, il tira un principe isolé, celui de « dévotion », pour en faire la base d’un culte religieux plutôt que profane. Pour lui, l’ensemble des principes confucianistes pouvaient s’allier aux croyances shintoïstes. L’idée d’un amalgame lui était venue d’un maître shintoïste, et il la poursuivit avec impétuosité. On dit qu’il prêchait avec tant de vigueur que ses disciples trouvaient son comportement alarmant. Sa voix vibrait comme une cloche ; son visage s’enflammait comme sous l’effet de la colère 231 . Satô Naokata, l’un de ses auditeurs, rapporte que, lorsqu’on passait son seuil, on avait l’impression d’entrer en prison, et qu’en partant, on avait le sentiment d’avoir échappé aux mâchoires d’un tigre.
Il n’y a pas grand-chose à dire en faveur du raisonnement d’Ansai, et l’essor du shintô en association avec le confucianisme s’opéra grâce à des arguments plus rationnels que les siens. L’un des traits marquants du mouvement d’amalgame de la tradition indigène et d’une philosophie empruntée à la Chine réside dans sa composante nationaliste. L’attitude d’Ansai touchant une hypothétique invasion de la Chine par les sages chinois est une expression de ce sentiment.
Il n’est pas facile de retrouver l’origine de cette tendance patriotique. Elle existait bien sûr depuis les temps anciens, mais non pas de façon active ; et au Moyen Age, elle demeura masquée par les luttes intérieures. Mais l’unification entraîna un renforcement de la conscience nationale, hâté peut-être par la campagne de Corée. Les motifs de la politique d’isolement ne sont pas tout à fait clairs, mais le désir de protéger la culture nationale contre l’influence étrangère entre certainement parmi eux.
L’ÉTHIQUE NÊO-CONFUCIANISTE
La dernière critique du néoconfucianisme au XVIIe siècle ne fut pas une attaque mais un effort couronné de succès pour rendre son essence intelligible au commun des mortels. Il s’agissait de l’œuvre de Kaibara Ekken (1630-1714), médecin né au Kyüshü. L’étude des herbes médicinales l’amena à s’intéresser à la science naturelle en général, ce qui se sent dans sa philosophie. Il croyait en une force créatrice bienveillante unique, s’opposant en cela au dualisme de Zhu Xi. Sa simplification du néoconfucianisme orthodoxe reflétait d’ailleurs son propre caractère, direct et uni. Rédigés dans un langage simple, ses écrits présentent des principes faciles à comprendre pour les représentants de toutes les classes. Il mettait l’éthique confucianiste à la portée des femmes et des enfants. Un lettré plus tardif – Dazai Shundai, connu pour être avare d’éloges – parle de lui comme de l’homme le plus érudit du Japon.
Un livre intitulé Onna daigaku (Instruction supérieure pour les femmes), dont Ekken fut peut-être l’auteur, expose les règles de soumission et d’obéissance aux parents, beaux-parents, mari et fils (en cas de veuvage). Mais Ekken traitait sa propre femme (Token) comme une égale, et l’on dit que c’est elle qui écrivit le livre. C’était une femme très douée, et peut-être y travaillèrent-ils ensemble 232 .
Ekken lui-même s’éleva très haut parmi les confucianistes de son temps, dont il fut peut-être le plus grand, car il avait et la sagesse pratique et la puissance analytique. En d’autres termes, il sut appliquer le rationalisme de Zhu Xi à la formulation d’un code simple de morale quotidienne. Aucun penseur japonais probablement n’eut autant d’influence sur le mode de conduite de la société Tokugawa, en particulier dans les classes moyennes.
L’ordre social Tokugawa organisé en quatre classes, shi, nô, ko, shô (guerrier, paysan, artisan, commerçant), correspondait assez bien au modèle confucianiste – en fait, il était d’origine confucianiste. Mais l’enseignement confucianiste ne portait pas essentiellement sur ces questions publiques, étant centré d’abord sur la morale au sein d’un système familial. Il faut comprendre que les principes moraux en question ne concernent pas en premier lieu le caractère de l’individu, mais visent au bien-être
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