Histoire du Japon
toutes sortes. Dans une ville habituée aux cortèges grandioses, leur modeste convoi passa inaperçu.
Ils furent bien traités en attendant une audience avec le shôgun, virent un incendie qui détruisit six cents maisons, et vécurent un léger tremblement de terre. L’audience fut fixée au 29 mars, l’officier chargé de prendre les dispositions nécessaires n’étant autre que Makino, Bungo no kami, l’un des favoris et ancien précepteur de Tsunayoshi. Franchissant plusieurs portes sous les yeux d’une nombreuse garde manifestement déployée pour la parade et non pour la sécurité, ils entrèrent au cœur même du palais et gravirent un escalier qui les conduisit dans une spacieuse antichambre, où ils demeurèrent quelque temps tandis que le chef de leur mission était reçu en audience par l’« empereur », c’est-à-dire le shôgun.
L’audience fut très courte, et Kaempfer fut déçu de ne pas avoir l’occasion d’examiner de près ce qui l’entourait. Mais lors de sa visite suivante, en 1692, il en vit beaucoup plus. Quand l’ambassadeur de Hollande se fut acquitté des formalités d’usage à l’égard du shôgun, tous les membres de la mission entrèrent dans une vaste salle d’audience où Tsunayoshi et certaines des dames de la cour se trouvaient assis derrière des paravents rouges, par les fentes desquels ils pouvaient observer les Hollandais sans être vus. Les grands conseillers d’État (rôjû) étaient là, de même que les « gentilshommes de service » (les chambellans, ou soba-yônin).
Lorsqu’ils eurent fait leur révérence, les membres de la mission furent salués au nom du shôgun par Makino, qui les pria ensuite de se tenir debout, de danser et chanter, de converser entre eux, et de façon générale de montrer comment se comportaient les Occidentaux. Kaempfer lui-même dansa et chanta pour le plus grand plaisir des dames, qui, pour mieux voir, élargirent adroitement les fentes des paravents. Cet épisode est relaté sèchement dans le compte rendu officiel, qui, après avoir énuméré les cadeaux apportés par les Hollandais, dit : « Les Hollandais chantèrent et dansèrent, et écrivirent quelques mots dans leur langue pour faire voir au shôgun. » Le même journal rapporte que, un jour ou deux plus tard, le shôgun prit part à une représentations de nô dans son palais, dansant un rôle dans Yashima et d’autres pièces.
Il est clair qu’alors sa santé n’avait pas subi de déclin marqué, car le fait de préférer le théâtre à la politique n’est pas un signe de maladie ; mais il semble que, à partir de 1698, quand Yanagisawa devint l’équivalent de tairô, la fatigue l’ait amené à se retirer graduellement de la vie officielle pour se consacrer à ses études et à ses représentations de nô. Selon certains récits, il s’adonnait à la débauche, mais peu de choses le confirment. Il vaut mieux simplement admettre que, durant les dix dernières années de sa vie, il souffrit d’une lente détérioration de l’esprit et du corps. Il mourut à soixante-quatre ans, en sorte qu’on ne peut guère dire que la dissipation ruina sa santé.
Certains auteurs prétendent que, sous Tsunayoshi, le bakufu était faible et incompétent, mais rares sont les faits à l’appui de cette thèse. Il est vrai que le shôgun n’était plus un dictateur militaire comme Iemitsu ; mais le gouvernement maintenait l’ordre parmi les vassaux grâce à des méthodes très sévères ; sa politique financière fut, dans l’ensemble, un succès malgré les désastres naturels auxquels il dut faire face ; et il n’hésita pas à traiter avec fermeté les grands marchands d’Edo et Osaka. S’il n’en fut pas l’initiateur, il approuva d’importants travaux qui permirent d’accomplir des progrès remarquables dans le domaine des transports. Grâce à Tsunayoshi, les relations entre le bakufu et la cour impériale connurent une nette amélioration. Il accorda des fonds pour faire revivre les grandes cérémonies de la cour et divers autres rites qu’on ne pratiquait plus depuis un siècle ou davantage, y compris la fête annuelle du sanctuaire de Kamo, qui était presque aussi vieux que la ville, et avec lequel la cour entretenait des liens historiques.
La crainte qu’inspiraient les méthodes de Tsunayoshi se lit clairement dans les documents de l’époque. La plus légère faute d’un vassal était sévèrement punie. Les fonctionnaires
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