Histoire du Japon
qu’on l’a vu dans les chapitres qui précèdent, le XVIIe siècle avait vu la production, et en fait l’économie en général, se développer dans des proportions très considérables ; et dans presque toutes les villes, mais surtout à Edo et à Osaka, était apparue une bourgeoisie très prospère, et si dépensière qu’elle s’attira bien des réprimandes et édits de la part du gouvernement. Mais il ne faut pas croire que les citadins ne s’adonnaient qu’à des plaisirs tumultueux, car ils avaient aussi un goût très raffiné pour la littérature et les beaux-arts. Tout en se démarquant de l’ancienne tradition de la peinture de cour et des romans classiques, qui étaient d’un style noble et souvent l’œuvre de moines bouddhistes, les auteurs de livres et de peintures populaires n’en obéissaient pas moins à un canon strict en évoquant non le passé, mais la vie résolument contemporaine.
Tels étaient les peintres d’« ukiyo-e », auteurs de saynètes dites « ukiyo-zôshi », qui brossent les figures marquantes du « monde flottant », société fugitive (ukiyo) composée d’acteurs, de danseurs, de chanteurs et de beautés à la mode. Durant la période Genroku, les personnalités les plus en vue étaient Chikamatsu Monzaemon, le grand dramaturge (1653-1724) ; Ihara Saikaku, le romancier le plus doué (mort en 1693) ; Hishikawa Moronobu (mort en 1714), fondateur de l’école de peinture ukiyo-e ; et peut-être encore le poète itinérant Matsuo Bashô (1644-1694), grand maître du haïku, épi-gramme poétique de sept syllabes.
Tous n’étaient pas membres de la classe marchande. Saikaku était le fils d’un marchand d’Osaka, mais le père de Chikamatsu, élevé à Kyoto, était un samurai de province de position modeste. Certains parmi les peintres les plus en vogue appartenaient à l’école classique de Kanô. Parmi eux se trouvaient des hommes comme Morikage et Hanabusa Itchô, qui tous deux étaient élèves du distingué Tan’yù, mais s’étaient écartés des normes strictes la peinture de cour et furent exclus de l’école pour non-conformisme. Qui protégeait les écrivains et autres artistes ? Pratiquement tout le monde sauf les citadins les plus pauvres, car l’essentiel de l’œuvre des romanciers, des peintres et des dramaturges s’adressait aux hommes et aux femmes de la rue, qui remplissaient les théâtres et achetaient pour quelques sous les portraits des acteurs et des belles dames dans un style familier des collectionneurs d’aujourd’hui à travers l’œuvre d’Utamaro et autres maîtres de l’estampe.
Le développement d’une nombreuse classe de protecteurs des arts dans une société à laquelle jusqu’alors les samouraï ne prêtaient aucune attention est un phénomène remarquable de l’histoire sociale japonaise. Il serait faux d’y voir un signe de décadence de la classe militaire. Ce phénomène prouve plutôt l’élargissement de l’horizon du samurai citadin, dont il traduit au plan économique la pauvreté et la nécessité pour lui de trouver un emploi pour parfaire sa pension.
La population des deux plus grandes villes, Kyoto et Edo, était, vers 1700, de l’ordre d’un demi-million d’habitants, alors qu’Osaka en comptait 350000, chacun de ces chiffres ne comprenant les membres de la classe militaire, dans ces trois grands centres, la population avait atteint un degré relativement élevé d’abondance et développé un goût bien précis en matière de peintre, de théâtre et de littérature. Son code de conduite était strictement défini, et les manquements dans ce domaine fournissaient les sujets des tragédies dont vivaient les théâtres. C’est un fait curieux que les principes moraux auxquels les gens s’efforçaient d’obéir aient été d’origine confucianiste – la vie était considérée comme un conflit entre devoir et émotion.. A une moindre échelle, assurément, ces conditions étaient celles de la vie citadine dans l’ensemble du pays. Le bakufu devait en tenir compte, car si l’autocratie militaire entendait survivre, il fallait réduire ou limiter la puissance de l’argent dans la société féodale, notamment parmi les plus riches. Dans la pratique, la chose s’avéra difficile. Le flot habituel de lois somptuaires fut promulgué, mais les mettre en pratique n’était pas aisé. Dans certains cas flagrants, les autorités surent se montrer fermes, comme lorsqu’elles
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