Histoire du Japon
avec violence.
En les tenant hors du courant de développement que connaissait le reste du pays, la politique d’isolement pratiquée par la plupart des fiefs avait naturellement pour résultat une certaine stagnation, pour ne pas parler de recul. Au mieux, elle donnait lieu à des dissensions intérieures, au pire, à des conflits armés. Parmi les exemples les plus flagrants de la faiblesse de la structure politique figurent les violentes querelles entre familles ou branches de familles dirigeantes des grands fiefs. On en a déjà vu une illustration classique dans la lutte qui, en 1671, déchira le fief de Sendai (Date) ; et durant les premières années du XVIIIe siècle, des disputes similaires dégénérèrent en violence dans d’autres régions du pays.
La plus connue d’entre elles est celle qui faillit détruire le grand domaine de Kaga, le plus riche du Japon, dont le revenu était estimé à plus d’un million de koku. Il était si mal administré que, en 1703, il était lourdement endetté, devant plus de 22000 kan d’argent (environ 800 tonnes). Les questions de politique soulevées par son extraordinaire solvabilité suscitèrent une violence jusque-là inconnue sous le gouvernement Tokugawa. Deux factions principales se battirent pendant trente ans, et même après qu’elles eurent trouvé un compromis, le Kaga connut des émeutes du fait que la dette s’était élevée (en 1767) à 50000 kan, et qu’on n’avait pas découvert de moyens d’en venir à bout. Cette dispute ne faisait que révéler une administration pourrie par des fonctionnaires corrompus.
Aucune description des entreprises commerciales du fief de Kaga ne serait complète sans référence à l’extraordinaire contrebande à laquelle se livrait un marchand nommé Zeniya Gohei, habitant la ville portuaire de Kanazawa, dont on dit que, vers 1850, il était propriétaire de deux cents navires et d’un capital de trois millions de ryô. Après avoir fermé un certain temps les yeux sur ses opérations, l’administration du fief décida de confisquer tous ses biens. Il fut mis en prison et y mourut, alors que ses fils et son bras droit furent crucifiés. On l’accusait d’avoir commis une infraction concernant un petit projet de défrichement, mais c’était manifestement une excuse malhonnête. L’exacte vérité est inconnue, mais il est clair que les autorités du clan voulaient mettre la main sur sa fortune et se montrèrent sans scrupules sur le choix du prétexte. Une grande partie des affaires de Zeniya était parfaitement légale et consistait en transport de marchandises à destination et en provenance du Hokkaido ; son entreprise montre qu’il était très désireux de commercer avec l’étranger.
Le cas de Zeniya présente un intérêt particulier, car il contredit l’opinion de certains auteurs selon laquelle, durant la première moitié du xixe siècle, les riches marchands exerçaient un grand pouvoir politique. Il n’y a là pas grand-chose de vrai ; en effet, depuis l’époque de Yodoya, le bakufu n’hésita jamais à punir ceux qu’il n’approuvait pas.
Des troubles semblables à ceux de Kaga affectèrent les fiefs d’Akita, de Kurume, et (parmi les clans plus petits) de Tsushima, Koga et Matsuyama, dans le Dewa. Ce dernier offre un exemple frappant de mauvais gouvernement. Les principaux partisans suscitèrent une révolte contre le daimyô du fait de ses mesures oppressives, qui comprenaient non seulement les exactions dont les contribuables étaient victimes, mais des contributions forcées imposées aux partisans eux-mêmes. Le daimyô émettait des billets de riz qu’il ne pouvait pas garantir et conduisait l’économie du fief à la faillite. Les partisans se virent contraints de vendre leurs possessions, et la famine ne fut évitée que grâce à l’aide d’un clan parent.
Bien d’autres exemples illustrant cette détérioration pourraient être cités. Ce qui en était la cause n’est pas clair. Il est probable que le système des fiefs mis en place par les trois premiers shôgun Tokugawa était fondamentalement vicieux, car il donnait l’autonomie (une autonomie certes limitée) à une grande partie du territoire de l’ensemble du pays. En théorie, tout daimyô était un vassal tenu d’obéir au shôgun ; mais dans la pratique, le bakufu n’avait pas de politique constructive et ne se mêlait pas des affaires d’un clan à moins qu’elles ne mettent en danger ses
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