Histoire du Japon
fiefs connaissaient des ennuis financiers graves, du fait que, pour s’adapter, ils avaient eu recours à la solution de facilité consistant à emprunter à un taux d’intérêt élevé. Cette forme de désordre économique s’accompagnait bien sûr de dangers politiques, mais les gouvernants des fiefs ne prenaient aucune mesure politique pour les éviter, car ils pouvaient toujours compter sur la discipline féodale et la force militaire pour maintenir leur équilibre en cas de troubles intérieurs – un équilibre chancelant, c’est vrai, mais la suprématie de la classe des guerriers restait incontestée.
Les problèmes financiers des daimyô étaient inhérents au système Tokugawa de suzeraineté féodale, et dans certains cas, ils étaient d’ailleurs apparents avant la fondation du shôgunat. La situation empira durant les années suivantes, et vers 1700, c’est-à-dire moins d’un siècle après Ieyasu, il était devenu courant que les dépenses l’emportent sur les revenus. Les tactiques négatives visant à restreindre les dépenses se révélèrent inefficaces ; mais, ainsi qu’on l’a vu, les fiefs les mieux administrés mirent de nouvelles terres en culture et encouragèrent la production locale, surtout s’ils avaient la chance d’avoir le monopole d’un produit ou d’un autre. Ces efforts faisaient rentrer de l’argent et étaient plus utiles qu’une augmentation des impôts dans le fief. Mais il était rare que de telles mesures équilibrent les comptes des daimyô, et quelques fiefs seulement n’avaient pas besoin d’emprunter pour compléter leurs revenus en riz.
Ceux qui s’occupaient de négocier les produits des fiefs (les « kuramoto » ou « kakeya » à Osaka ; les « ryôgae » ou « tonya » à Edo et Kyoto) accumulaient quelque fortune, et dans le voisinage de la plupart des fiefs, il y avait d’ordinaire de riches marchands prêts à faire des affaires 270 . Mais les comptes demeuraient déficitaires, et bien des daimyô étaient contraints de faire des économies peu honorables. Ils réduisaient le nombre des hommes à leur service, et allaient même jusqu’à « emprunter » à leurs partisans une partie de leurs pensions, et (prétend-on) à vendre à de riches paysans le droit d’utiliser un nom de famille et de porter des sabres (droit connu sous le nom de « myôji taitô »).
Pour emprunter à grande échelle, les daimyô allaient jusqu’à offrir un droit sur les impôts fonciers (en riz) de l’année suivante, et les « billets de riz » ainsi émis avaient cours sur le marché. Mais certains daimyô donnaient des billets sans garantie, bien que ce fût contre les règles du bakufu, et créaient ainsi la panique parmi les prêteurs. Une affaire bien connue, qui mit en ébullition le marché monétaire d’Osaka, fut la mise en circulation de billets de riz provenant du fief de Kurume pour près d’un demi-million de koku, somme qu’il était absolument incapable de fournir. Le bakufu se trouva contraint d’intervenir en offrant une garantie, de manière à apaiser l’agitation qu’avait causée cet acte irresponsable.
L’accroissement de la dette des daimyô trouve une bonne illustration dans le cas de la famille Toda, qui, entre 1750 et 1772, emprunta à un marchand d’Osaka des sommes s’élevant à 453 kan d’argent (environ une tonne et demie), sur lesquelles, en 1836, l’intérêt atteignait près de 150 kilos. Un autre exemple de la richesse provenant des prêts est celui de Masuya, homme d’affaires du clan Sendai, dont on disait en 1790 que Sendai lui appartenait, et que le riz de Sendai était le sien. Ses exploits sont racontés dans un ouvrage intitulé Masuhei yawa, ou Contes vespéraux de Masuhei 271 .
Les paysans partageaient une partie du fardeau financier des daimyô. Il leur fallait payer des impôts plus lourds, ou les payer d’avance. En outre, ils étaient directement ou indirectement pressurés par les riches marchands, propriétaires, prêteurs et courtiers en riz. Parfois, la pression était insupportable et occasionnait des émeutes comme celles que nous avons décrites. Dans les fiefs, beaucoup dépendait du contrôle plus ou moins étroit exercé par les daimyô, mais durant cette période, les soulèvements ruraux (hyakushô ikki) étaient presque chroniques. Ils étaient particulièrement fréquents dans les petits et moyens fiefs, où la force manquait pour empêcher les paysans de revendiquer
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