Histoire du Japon
qu’une littérature nationale commence clairement à apparaître vers la fin du ixe siècle, puis accomplit de rapides progrès. Les auteurs classiques de la Chine gardent leur immense prestige, et tout homme de goût, tout homme bien élevé, se doit d’avoir au moins une connaissance superficielle de leurs œuvres ; mais dans ces petites pièces et dans le Kokinshü, la « langue du Yamato » commence déjà à s’affirmer entre des mains habiles comme un instrument délicat et sensible, apte à traduire la tournure d’esprit indigène.
Quitte à anticiper, il convient de relever ici que vers l’an mille, quand Murasaki écrivait ses chefs-d’œuvre, le style de la prose japonaise avait atteint une maturité classique. C’était un style qui se prêtait bien au roman, aux lettres et au journal intime, car c’était une forme raffinée de la langue orale contemporaine, qui avait fait siens les termes d’origine chinoise. Mais il ne convenait pas aux affaires pratiques d’une certaine gravité, et le chinois devait être utilisé pour les lois, les règlements et les documents officiels, ainsi que pour les ouvrages traitant de religion et de philosophie. Passer d’une page du Genji à des documents historiques de la même époque – tels qu’inventaires, contrats et registres monastiques – correspond à entrer dans un autre monde linguistique, rigide, formel, intelligible seulement à l’œil et non à l’oreille – quelque chose de très « chinoisant », comme aurait dit Murasaki.
Ainsi, la langue indigène dut lutter contre un puissant ennemi ou rival, et ses succès témoignent de la force d’une réaction contre l’érudition chinoise, ou plutôt contre ses prétentions – réaction qui s’affirma au cours du ixe siècle, au terme duquel elle atteignit son apogée. C’est dans le domaine des belles-lettres que la « langue du Yamato » sut le mieux révéler ses qualités. Le chinois, ou un mélange de japonais et de chinois où ce dernier prédominait, continua d’être employé à des fins savantes, marquant ainsi de façon très profonde la vie intellectuelle du Japon. Que, dans l’ensemble, son effet ait été ou non bénéfique est une question discutable, mais il est clair qu’il eut tendance à confiner le flot de l’activité intellectuelle japonaise dans un canal plutôt étroit.
Relations politiques et commerciales
D’un certain point de vue, l’évolution des formes politiques au cours des IX e , X e et XI e siècles peut être considérée comme un éloignement progressif des modèles chinois, et l’on peut résumer l’histoire politique de cette longue période en disant que, pratiquement, tous les traits dominants du système de gouvernement er emprunté à la Chine tombèrent peu à peu en désuétude pour être remplacés par de nouvelles méthodes destinées à répondre à de nouvelles conditions, et ne subsistèrent à la longue que comme des formes vides dans une société féodale qui, dans toutes ses caractéristiques fondamentales, différait du projet irréalisable de monarchie centralisée.
Il serait inexact de dire que ce processus de changement institutionnel résulta d’une réaction consciente et voulue contre l’influence chinoise. Ce fut plutôt une réaffirmation naturelle et inévitable des habitudes traditionnelles japonaises de pensée et de sentiment, qui devint de plus en plus forte à mesure que les dirigeants du Japon prenaient conscience de leur capacité de diriger leurs propres affaires avec l’aide des connaissances nouvelles et des avantages matériels que leur avaient valus leurs relations avec la Chine. Ce qui était nouveau, c’était leur attitude à son égard, qui, de déférente, devint respectueuse et parfois même critique. Dans la littérature de cette période, on trouve de fréquentes allusions à la différence entre « Karajie » et « Yamato-damashii », ou (pourrait-on dire) savoir chinois et sentiment japonais, ce dernier étant l’équivalent extrême-oriental de l’esprit gaulois. Il y a en outre un manuscrit célèbre qui retrace les aventures en Chine de l’un des premiers envoyés du Japon, le grand Kibi no Makibi ou Mabi. Le rouleau date du XIIIe siècle, mais le récit repose à l’évidence sur une tradition bien fondée, car il raconte comment, grâce à son bon sens, à son courage et à sa vivacité d’esprit, le Japonais déjoue les ruses des fonctionnaires chinois qui tentent jour
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