Histoire du Japon
deuxième partie du siècle.
Nous en avons pour preuve le grand nombre d’édits qui, réitérés à de brefs intervalles, attestent que le gouvernement luttait en vain pour remédier aux maux évidents de l’époque. Il existe par ailleurs deux documents célèbres, conservés comme des chefs-d’œuvre de style et comme des monuments d’échec, dans lesquels deux hommes d’État supplient le Trône de réformer certains abus courants, décrits dans un style noble. Le premier, de 914, est la Requête ou Déclaration d’opinion (« Iken Fùji ») d’un éminent lettré confucéen, Miyoshi Kiyotsura 15 , qui, après une carrière de professeur de littérature, de gouverneur de province, de recteur de l’Université puis de conseiller d’État, mourut toujours en place à soixante et onze ans, en 919. C’était évidemment un homme de caractère et d’envergure, qui avait des opinions très fortes et n’hésitait pas à les exprimer. Sa requête est un exposé, assez long et détaillé, de la détérioration progressive des finances publiques et de la décadence morale de la classe dirigeante qui, prétend-il, se poursuit depuis l’introduction du bouddhisme. Il déplore l’expansion du luxe et l’extravagance des dépenses, et, dans une prose pondérée, décrit la pauvreté croissante de la nation dans son ensemble, due, selon lui, au goût des superfluités. « Chaque jour apporte un changement dans le costume, chaque mois un changement dans la mode. Les chambres à coucher et les vêtements de nuit sont plus beaux, les banquets et les bals plus fréquents, que jamais auparavant. De cette façon, la moitié du revenu total a été dépensée. Et ainsi le trésor s’est vidé et les impôts ont augmenté. »
Sans doute cette sorte de condamnation générale ignore-t-elle une partie du tableau. Elle ne décrit pas la vie des citoyens actifs et vertueux, et Kiyotsura admet d’ailleurs lui-même qu’il est comme qui regarde un léopard à travers un tuyau et ne peut voir qu’une tache et non la bête entière. Mais il y a amplement de quoi justifier le tableau qu’il peint, et son mépris confucéen pour la vie corrompue et oiseuse des prêtres bouddhistes, des fonctionnaires shintoïstes et de certains officiers de la cour ne manque pas d’intérêt. Dans ses recommandations, il implore le souverain de réglementer la tenue en fonction du rang et d’ordonner à la police métropolitaine de veiller à ce que ses décrets soient appliqués. Il a aussi des choses intéressantes à dire à propos de l’éducation. Il explique que l’université, privée de ses terres à riz, a perdu ses revenus, et démontre que le niveau du savoir est très bas. Les étudiants moyens sont sans avenir, et l’on peut voir dans les campagnes « des étudiants aux cheveux de neige mourir d’inanition sur les rives verdoyantes d’un cours d’eau », en sorte que l’université est désormais considérée comme un lieu de désillusion, le berceau de la faim et de la pauvreté. Les parents ne veulent plus que leurs fils s’y inscrivent, les cours sont envahies de mauvaises herbes, les salles sont silencieuses. Les professeurs ne prennent pas la peine de lire les épreuves des candidats, et font des recommandations sur un simple coup d’œil à une liste d’étudiants.
La seconde de ces requêtes au Trône, de Sugawara Fumitoki, est nettement plus courte. Elle date de 954, mais elle s’en prend aux mêmes abus que ceux que dénonçaient Kiyotsura quarante ans plus tôt. Son auteur reproche aux représentants des basses classes comme des classes supérieures de perdre leur argent à construire des palais et des monastères, ou à acheter des tenues extravagantes et des objets de luxe rares et coûteux. Il voudrait que les gens de haut rang montrent l’exemple de la simplicité. Il déplore la vente des charges et autres types de conduite malhonnête. Contrairement à Kiyotsura, il ne fait pas de suggestions précises pour corriger le mauvais comportement dont il se plaint, mais il voit dans l’encouragement du savoir en général le moyen de répandre les idées vertueuses. Le gouvernement prit certaines mesures positives, comme de promulguer diverses lois somptuaires que la police reçut l’ordre de faire respecter. Ainsi, quand Kiyotsura demanda à la cour de veiller à ce que ses ordonnances sur le modèle et la couleur des vêtements fussent appliquées, un édit limitant l’emploi de certaines
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