Histoire du Japon
gouvernement dans une grande affliction, et quand Sumitomo fut finalement réduit à l’impuissance, l’empereur lui-même alla rendre grâce au sanctuaire de Kamo. Des prières pour les morts, des troupes rebelles aussi bien que loyales, furent également dites au monastère de l’Enryakuji, qui s’étendait maintenant sur les flancs du mont Hiei, au-dessus de la capitale. Le texte de quelques-unes de ces prières a été conservé. L’une dit que les guerriers, loyaux et rebelles, sont les sujets de Sa Majesté, qui souhaite que tous les sentiments de haine soient oubliés dans un désir commun de bonheur pour les victimes.
L’empereur avait raison de prier pour l’harmonie de son peuple, porté à la violence et à l’insubordination. Mais ni lui ni ses conseillers Fujiwara ne pouvaient prévoir que les loyaux guerriers qui étaient venus à bout de rebelles comme Masakado et Sumitomo deviendraient un jour, en tant que gardiens de la paix, une force militaire qui pourrait menacer le pouvoir civil. Ce sont les plus grands chefs de ces clans guerriers qui, tandis que le pouvoir civil s’affaiblissait, allaient sauver le pays de l’anarchie en fondant une puissante dynastie féodale décidée à assurer la stabilité du gouvernement et à supprimer le désordre. Cela ne se concrétiserait qu’au terme d’un long processus, qui verrait l’ascension et la chute de la famille Fujiwara, et les clans des guerriers se battre entre eux pour s’en partager la richesse et l’autorité politique. Pendant un siècle ou plus après l’élimination de Masakado, les Fujiwara conserveraient leur position suprême, les guerriers se contentant pour lors d’être les « becs et ongles » des autocrates civils, sous l’autorité et le patronage desquels s’épanouiraient les beaux-arts, la vie religieuse et la culture du XIIe et d’une partie du XIIe siècle.
On peut se demander comment des hommes aussi capables que ces dictateurs Fujiwara ont pu se satisfaire de dominer une petite société de cour alors que les affaires de la nation entière réclamaient si manifestement les efforts d’hommes d’État expérimentés et déterminés. Comme on l’a vu, les premiers Fujiwara étaient des travailleurs ; mais une fois que le clan eut brisé la puissance de ses grands rivaux, ses chefs trouvèrent évidemment que dominer des empereurs, manipuler et contraindre une aristocratie jalouse, afin de promouvoir leurs intérêts particuliers, était plus intéressant, plus captivant et plus profitable que la banale routine des affaires gouvernementales.
Leur intention et leur but général étaient d’accroître la richesse de leur famille. A cela, ils auraient pu parvenir par la compétence administrative ; mais le raffinement de l’intrigue, le calcul des motifs, l’adaptation au caractère, l’interaction constante des personnalités, bref, le jeu d’adresse avec des pièces vivantes représente pour un type de tempérament un exercice plus fascinant que de faire passer des lois et de surveiller un troupeau de fonctionnaires. Il exige une délicatesse de perception, une sensibilité aux nuances de comportement et une assurance qui, employées à des fins précises, peuvent être une source de plaisir esthétique, de jouissance épicurienne. En fait, c’est peut-être dans ce goût pour les détails les plus subtils des relations humaines que réside la clé de cette société unique dont nous trouvons un aperçu dans les journaux intimes et les romans de la première partie du xie siècle, notamment le Makura no sôshi et le Roman de Genji. C’était une société gouvernée moins par une règle de conduite que par une règle de goût.
De tous les phénomènes de l’histoire sociale du Japon, c’est peut-être celui qui mérite le plus d’attention, car il n’a pas d’équivalent très proche en d’autres temps ou d’autres lieux.
Un tableau général du climat politique peut nous aider à situer cette société dans son cadre véritable. A lire des descriptions de la vie dans la capitale, on pourrait supposer qu’avec la suppression de rébellions comme celles de Masakado et de Sumitomo le pays était entré dans une période de paix. Et il est vrai que les chroniques ultérieures présentent les périodes d’Engi et de Tenryaku – en gros, de 900 à 950 – comme une espèce d’âge d’or. Mais elles ne l’étaient que par comparaison avec la société plus dégradée et délinquante de la
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