Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
courage, la probité, le talent, le dévouement à la patrie
et toutes les vertus.
Elle déclarait après cela que les
représentants seraient nommés par des électeurs, et que chacun de
ces électeurs serait nommé par deux cents citoyens âgés d’au moins
vingt et un ans et
qui payeraient une contribution
directe.
Ensuite que, pour avoir la qualité propre à faire un
électeur ou un représentant, il faudrait
payer une contribution
de deux cents journées de travail.
Les trois quarts de nos anciens représentants
montagnards n’auraient pu, d’après cette constitution, être
nommés ; nous n’aurions eu pour représentants du peuple
français, que ceux qui s’entendaient avec les Prussiens et les
Autrichiens en Champagne, avec les royalistes et les Anglais en
Vendée. Qu’on juge d’après cela si Danton, Marat, Robespierre et
les autres montagnards avaient eu tort de se méfier de ces
girondins, qui se dépêchaient de ruiner ce que la nation avait fait
avec tant de peine.
Cette belle constitution de l’an III nous
apprenait de plus que nous allions avoir deux conseils, au lieu
d’une assemblée législative : – le conseil des Anciens, ayant
deux cent cinquante membres, âgés d’au moins quarante ans, et le
conseil des Cinq-Cents ; – que le conseil des Cinq-Cents
proposerait et discuterait les lois, et que le conseil des Anciens
les approuverait ou les rejetterait ; en outre que, à la place
du Comité de salut public, nous aurions un directoire de cinq
membres, chargés de faire exécuter les lois par des ministres
qu’ils nommeraient eux-mêmes, de traiter avec l’étranger, et de
mettre en mouvement nos armées.
Ainsi ces honnêtes gens, qu’on a toujours
regardés comme des victimes et qui se faisaient passer en 93 pour
des républicains persécutés, rétablirent alors : 1° le
veto
de Louis XVI, qu’ils donnaient au conseil des
Anciens ; 2° les ministres, qu’ils donnaient au
Directoire ; 3° le droit de paix et de guerre ; 4° les
citoyens actifs et passifs ; et de plus l’élection à deux
degrés d’avant 89. – Il ne restait plus qu’à mettre un homme à la
place des cinq directeurs et le tour était fait. Autant dire tout
de suite que la révolution ne comptait plus, et que les rois,
battus de tous les côtés par la république, avaient remporté la
victoire.
Malgré cela les malheurs du pays étaient tels,
que cette constitution fut acceptée ; à Phalsbourg, Collin,
Manque, Genti, moi et cinq ou six autres patriotes nous dîmes
seuls : Non !
Mais, pour comble d’abomination, les
réactionnaires de l’Assemblée, craignant que le peuple n’envoyât
des républicains au conseil des Cinq-Cents, au lieu de girondins et
de royalistes, décrétèrent que les deux tiers seraient nommés parmi
les membres de la Convention elle-même. Et l’on vit alors une chose
bien capable de faire rire les hommes de bon sens ; on vit
toute la masse des muscadins et des aristocrates, qui se figuraient
déjà que le peuple allait les nommer, se révolter contre ce décret
et crier que la Convention attentait à la souveraineté du
peuple ; on reconnut l’égoïsme et l’avarice de ces jeunes
messieurs, qui se soulevaient contre leur propre parti, dès qu’il
ne leur livrait pas les premières places. Toute la jeunesse dorée
et les riches boutiquiers se mirent en insurrection ; la
Convention fut obligée d’appeler les jacobins à son secours et de
leur rendre des armes.
Les jacobins ne demandaient pas mieux que
d’écraser ceux qui les défiaient depuis thermidor, et les vieux
renards de la Convention, qui s’en doutaient, eurent peur de voir
exterminer leurs jeunes amis révoltés ; chacun tirait à soi,
les vieux et les jeunes, mais ils ne s’en voulaient pas à
mort ; les vieux comprenaient les jeunes, ils auraient fait
comme eux à leur place. C’est pourquoi le général Menou reçut
l’ordre d’aller doucement, de ménager cette jeunesse égarée. Menou
la ménagea tellement que, sur la simple promesse des insurgés
qu’ils allaient se disperser, ses troupes se retirèrent.
Tout semblait fini ; mais ces insurgés
d’une nouvelle espèce, voyant les troupes se retirer, crurent que
la Convention tremblait devant eux ; ils restèrent en armes et
se mirent à parler de haut. Alors la Convention, bien chagrine, fut
obligée de remplacer Menou par Barras, le général du 9 thermidor,
et Barras choisit pour son lieutenant un jacobin, le
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