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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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de Phalsbourg.
C’était vers le printemps. Un matin, comme j’allais prendre le
courrier pour régler mes comptes avec Simonis à Strasbourg, au
moment de sortir avec la petite malle de Chauvel, je vois entrer le
docteur Schwân et deux autres respectables bourgeois, qui nous
saluent en souriant. Chauvel avait reconnu la voix de son vieux
camarade ; il ouvrit la bibliothèque et Schwân
s’écria :
    – Eh bien ! l’expérience est faite
sur les miens ; êtes-vous prêts pour les vôtres ?
    – Où donc est le
cow-pox ?
demanda Chauvel.
    – Le voici dans ma trousse !
    Et tout de suite le docteur nous montra du
vaccin encore frais, dans une petite bouteille. Nous étions comme
saisis ; les gens de la boutique, penchés tout autour de nous,
regardaient étonnés.
    Nous entrâmes dans la bibliothèque avec ces
étrangers. Les deux autres étaient aussi des médecins. Ils nous
racontèrent comment venaient les boutons, comment ils s’ouvraient
et se séchaient, que cela ne donnait qu’un peu de fièvre, et que
les enfants déjà vaccinés dans leurs propres familles se portaient
très bien ; que tout s’était passé chez eux comme Jenner, le
médecin anglais, l’avait dit. Malgré cela, ni Marguerite ni moi
nous n’aurions osé tenir parole au docteur Schwân, si le père
Chauvel ne s’était écrié :
    – Cela suffit. Du moment que tu l’as
éprouvé, Schwân, et ces deux citoyens aussi, moi j’ai pleine
confiance. Essayons sur les nôtres ; qu’en
pensez-vous ?
    Il nous regardait. Marguerite était devenue
toute pâle ; moi je baissais la tête sans répondre. Au bout
d’un instant, Marguerite dit :
    – Est-ce que cela leur fera du
mal ?
    – Non, répondit le docteur Schwân, une
simple égratignure sur le bras, un peu de
cow-pox ;
les enfants le sentent à peine.
    Aussitôt elle alla chercher la petite, qui
dormait dans son berceau ; elle l’embrassa et la remit à
Chauvel en lui disant :
    – Voilà, mon père… Tu as confiance.
    Alors reprenant courage, parce que je pensais
à la petite vérole, qui s’étendait déjà de Mittelbronn aux
Maisons-Rouges, je partis chercher le petit, qui courait sous la
halle ; mon cœur était bien serré.
    – Arrive, Jean-Pierre, lui dis-je en le
prenant par la main.
    Je me sentais hors de moi. En bas, dans la
bibliothèque, Annette pleurait et criait sur les genoux de sa mère.
En entrant, je vis qu’elle avait les épaules nues et une goutte de
sang sur le bras. Elle me tendait ses petites mains ; je la
pris en demandant :
    – Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux
attendre pour Jean-Pierre, qu’on ait vu ?
    – Non, dit Chauvel, il ne peut rien
arriver de pire que la petite vérole.
    – Hé ! criait le père Schwân, en
riant, soyez donc tranquilles, je réponds de tout.
    Le petit regardait et dit :
    – Qu’est-ce que c’est,
grand-père ?
    – Rien ! Ote ta veste ; tu n’as
pas peur, j’espère ?
    Notre petit Jean-Pierre avait le caractère de
Chauvel ; il ôta sa veste, sans même répondre, et fut vacciné.
Il regardait lui-même, à ce que m’a dit Marguerite, car moi,
j’étais sorti furieux contre moi-même, de ne pas m’opposer à cette
épreuve ; je me traitais de sans-cœur, et durant plus de huit
jours je me repentis de ce que j’avais fait ; j’en voulais à
Chauvel, à ma femme, à tout le monde, sans rien dire. Tant que les
boutons durèrent, j’eus peur. Marguerite avait peur aussi, mais
elle n’en laissait rien voir, dans la crainte de m’effrayer encore
plus. Enfin les boutons séchèrent. Alors je ne pensais plus qu’une
chose :
    « Dieu veuille maintenant que ça
serve ! »
    Je pouvais bien faire ce souhait, car déjà la
petite vérole était en ville ; à chaque instant les gens
disaient à la boutique :
    « Elle est dans la rue… Elle est sur la
place… Tant de soldats sont entrés hier à l’hôpital… Tant d’autres
sont pris… Tel enfant passera ce soir… »
    Ainsi de suite.
    Moi, je regardais les nôtres ; ils se
portaient toujours bien, jouant et riant. La petite vérole fit le
tour du quartier, elle n’entra pas chez nous. En même temps Schwân
nous écrivit de Strasbourg que, de tous les enfants vaccinés, pas
un n’avait eu la maladie. Alors notre joie, notre bonheur ne peut
se peindre. Le père Chauvel surtout n’avait plus de cesse ni de
repos ; il voulait vacciner tous les enfants du district, et
se rendit exprès à Strasbourg, chercher du

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