Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
se mirent à conspirer encore une fois
contre nous. Pitt s’engagerait à fournir l’argent de la guerre,
l’empereur d’Autriche les hommes, et bientôt le maniaque, qui
s’était déclaré grand maître de l’ordre des chevaliers de Malte,
détacha contre la république deux armées de quarante mille hommes
chaque. Les gazettes nous apprirent que Souvaroff, le plus fameux
général de Russie, le massacreur des Turcs et des Polonais, le
tueur de femmes et d’enfants, l’incendiaire de Praga, commandait en
chef ces barbares.
Tous ces préparatifs n’empêchaient pas les
conférences de Rastadt de continuer. Les Allemands refusaient
toujours de nous céder Kehl et Cassel, sur la rive droite. Ils
voulaient rester maîtres chez eux, c’était tout naturel. Malgré
cela, nous aurions eu la paix depuis longtemps, si le Directoire
avait voulu sacrifier les princes de l’Empire à l’empereur
François, qui ne demandait qu’à s’agrandir aux dépens de
l’Allemagne ; mais nous n’avions aucun intérêt à fortifier
l’Autriche ; d’ailleurs la Prusse soutenait ces petits
princes, et le bon sens nous disait de la ménager.
Enfin, pendant que Metternich amusait nos
plénipotentiaires, les Russes étant arrivés en Bohême, François II
se dépêcha de faire occuper les Grisons par un corps de six mille
hommes, et tout le monde comprit ce que cela signifiait.
Notre Directoire se mit à crier, à demander
des explications, et finalement à déclarer que la continuation de
la marche des Russes sur le territoire germanique serait regardée
comme une déclaration de guerre. François ne se donna pas seulement
la peine de lui répondre. Les petits princes allemands, qui
jusqu’alors avaient tous accepté nos conditions de paix, s’en
allaient l’un après l’autre du congrès de Rastadt ; bientôt
nos plénipotentiaires y restèrent seuls avec Metternich, au milieu
des troupes autrichiennes.
Personne ne pouvait plus douter que la guerre
revenait plus terrible, et que toutes les conquêtes de la
révolution étaient encore une fois en danger. On recrutait à force,
mais cela ne marchait plus comme autrefois. En juin 1791, on avait
levé cent cinquante mille hommes ; en septembre 1792, cent
mille ; en février 1793, d’abord trois cent mille, et puis en
avril encore trente mille, et puis en août, à la levée en masse, un
million cinquante mille ; c’étaient les dernières levées.
Cette masse avait suffi pour conquérir la Hollande, la rive gauche
du Rhin, la Suisse, l’Italie, pour repousser les Espagnols chez eux
et former les deux expéditions d’Irlande et d’Égypte.
La conscription du 3 vendémiaire an VII était
en train : elle devait monter à cent quatre-vingt-dix mille
conscrits, qu’on exerçait. Mais en attendant, les vieilles troupes
allaient marcher ; elles défilaient chez nous : c’était
principalement de l’infanterie, qui se rendait en Suisse, où
Masséna, nommé général en chef, occupait la ligne du Rhin, depuis
la haute montagne jusqu’à Constance ; beaucoup de cavalerie au
contraire remontait l’Alsace, pour rejoindre l’armée du Rhin, sous
les ordres de Jourdan ; d’autres passaient en ville, allant
plus loin, entre Mayence et Dusseldorf, rejoindre l’armée
d’observation, commandée par Bernadotte.
Ces vieilles troupes ne montaient pas
seulement à cent mille hommes ; les levées de conscrits
n’étaient pas encore prêtes, elles ne purent rejoindre que plus
tard, et les premières allèrent d’abord en Italie, où commandait
Schérer. Je n’ai pas oublié ces choses lointaines, parce que
Marescot, dans une de ses lettres, s’en plaignait amèrement. Il
fallait donc, avec quatre-vingt-dix mille hommes, défendre la
Suisse, l’Alsace et toute la rive gauche du Rhin jusqu’en
Hollande.
Les Allemands, commandés par l’archiduc
Charles, étaient dans la Bavière à plus de soixante et dix
mille ; dans le Vorarlberg, ils étaient à vingt-cinq mille,
commandés par le général Hotze, un Suisse ; dans le Tyrol, à
quarante-cinq mille, sous Bellegarde, et en Italie, à soixante
mille, sous Kray. Quarante mille Anglais et Russes devaient
débarquer en Hollande, où Brune commandait dix mille hommes ;
et vingt mille Anglais et Siciliens devaient débarquer à Naples, où
Macdonald avait remplacé Championnet.
Ces forces immenses de nos ennemis montraient
qu’ils s’apprêtaient depuis longtemps à nous envahir, et que le
congrès de Rastadt
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