Iacobus
les pèlerins, trop malades
pour arriver jusqu’à Compostelle, pouvaient obtenir le Grand Pardon dans son
église comme s’ils avaient réellement atteint la tombe de l’apôtre. C’est pour
cette raison que grand nombre de voyageurs de toutes nationalités et origines
s’assemblaient près de ses murs.
Le frère hospitalier, un homme robuste, chauve
et édenté, se mit à ma disposition dès que je lui communiquai mon nom et mon
rang dans notre ordre. Il m’offrit aussitôt sa maison, une humble habitation au
toit de chaume adossée aux murs épais de l’église de San Juan. Il l’occupait
depuis plusieurs années avec un frère lai de peu de lumières. À eux deux, ils
formaient une espèce de détachement ou poste avancé de l’Ordre dans les portes
orientales de Galice où ce dernier semblait posséder de nombreux propriétés,
châteaux et prieurés, depuis la disparition de ces sorciers de Templiers. La
maison principale, une magnifique forteresse dédiée à san Nicolas, se trouvait
à Portomarin, à quelque soixante milles de Saint-Jacques-de-Compostelle.
« Avec de bons chevaux, me dit-il, il faut seulement deux jours pour faire
le voyage. » Sans lui donner trop de détails, je lui fis comprendre que
nous n’étions pas en mesure d’acheter des chevaux, et que je comptais sur sa
générosité et sa compassion. Quand je le vis se dandiner d’un pied sur l’autre
en balbutiant de timides excuses, je décidai d’exercer tout le pouvoir que mon
rang de chevalier m’octroyait pour lui ôter toute hésitation. Nous avions
besoin de montures, et aucun prétexte n’était possible. Je ne lui dis pas que
nos vies étaient en danger, et que nous ne nous sentirions en sécurité qu’une
fois arrivés à San Nicolas sains et saufs. Ni que je devais bien attendre
quelque part les ordres de Jean XXII et de Robert d’Arthus Bertrand qui
devaient être anxieux de connaître enfin les enclaves où les Templiers avaient
caché leur or. La forteresse de Portomarin me semblait le lieu adéquat.
Je quittai Villafranca l’après-midi même, avec
mes compagnons, sur trois véritables haridelles, pour traverser l’étroit défilé
du fleuve Valcarce et cheminer le long de pentes escarpées couvertes de
châtaigniers qui exhibaient, orgueilleux, leurs fruits verts piquants et
menaçants. Jonas avait toujours aussi mal à l’oreille, et son aspect fiévreux
et émacié ne me disait rien qui vaille. Il ne parut même pas se réjouir quand
après de nombreuses difficultés le sommet du mont O Cebreiro se présenta à
nous. Nous pûmes contempler la magnifique descente qui nous attendait en direction
de Sarria à la lumière de la lune. Deux nuits durant, il nous fallut traverser
des bois humides et sombres de chênes centenaires, de hêtres, de noyers, d’ifs,
de pins et d’érables, et un nombre infini de hameaux déserts dont les habitants
dormaient dans leurs masures tandis que les chiens aboyaient à notre passage.
Mes craintes d’être capturés par les Templiers diminuaient devant la certitude
que seuls des fous de notre genre oseraient voyager de nuit dans ces parages
infestés de renards, de loups, d’ours et de sangliers. J’avais peur, bien sûr,
de subir l’attaque d’une de ces bêtes dangereuses, mais connaissant leurs
habitudes de chasse et de sommeil, je fis en sorte que notre route passe le
plus loin possible de leurs tanières pour ne pas éveiller leur attention ou les
provoquer par nos bruits et notre odeur. En même temps, je gardais à la main la
vieille épée de fer que m’avait offerte le frère hospitalier.
Le 4 octobre, nous passions le pont du Mino et
entrions à Portomarin, fief de mon ordre dont les étendards et les gonfalons
flottaient au vent sur tous les bâtiments principaux de la ville. J’eus
l’heureuse impression de me retrouver à Rhodes. J’aspirais avec ardeur à un
repos bien mérité entre les murs familiers de la forteresse ; elle était
l’image la plus ressemblante du seul foyer que j’avais connu toutes ces
dernières années.
Nous fûmes reçus par quatre frères servants qui
se chargèrent immédiatement de la silencieuse Sara et d’un Jonas abattu, tandis
qu’on me conduisait par d’innombrables couloirs devant le prieur de la maison,
don Pero Nunes, qui attendait, semblait-il, ma venue depuis plusieurs jours. Je
me sentais un peu nauséeux à cause du manque de sommeil, et je mourais de faim,
mais l’entrevue qui m’attendait était plus
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