Iacobus
soleil avec Isabel de Mendoza. Comme si j’étais en train
d’accepter ma mort, mon coeur retournait aux matins ensoleillés de mon passé, quand
j’avais toute la vie devant moi, quand la chaleur faisait bouillonner mon sang
et celui du jeune corps d’Isabel.
Soudain, je compris ! Je venais de trouver
la solution tandis que la main tiède de Sara se glissait dans la mienne,
cherchant un réconfort avant notre mort certaine.
— Poussez ! criai-je, essayant de me
faire entendre par-dessus le vacarme assourdissant de l’eau sur le point
d’atteindre notre salle.
— Les pierres vont nous écraser,
père ! s’inquiéta Jonas.
— Poussez tous les deux de toutes vos forces !
Poussez, bon sang, si vous ne voulez pas mourir ici !
Je me jetai avec mes compagnons contre le bloc
marqué du signe solaire et le poussai de toutes mes forces. La pierre ne bougea
pas d’un pouce. Je ne sais pas comment l’idée me vint d’appuyer ma main sur le
symbole, mais la pierre se mit enfin à glisser sans qu’une seule des roches qui
se trouvaient maintenant suspendues au-dessus de nos têtes ne bouge. Nous
élançant comme des damnés vers la colline la plus proche pour nous mettre à
l’abri, nous vîmes le torrent débouler sur nous comme un taureau furieux rendu
fou par son enfermement, tandis que les pierres qui étaient miraculeusement
demeurées en place s’écroulaient.
— Comment avez-vous deviné que nous
pouvions sortir sans risque de mourir écrasés ? me demanda Sara peu de
temps après, alors que nous contemplions les trombes d’eau qui dévalaient les
pentes de l’étrange paysage de Las Medulas.
— Grâce au soleil, lui répondis-je en
souriant. Si nous avions essayé la même chose de nuit, nous aurions été tués
sur-le-champ. Les pierres se seraient écroulées sur nous. La chaleur, la
chaleur du soleil dans ce cas précis, produit un étrange phénomène dans les
corps, elle les dilate, les élargit, tandis qu’au contraire le froid les
resserre. Sine lumine pereo, « Sans lumière, je péris », dit
l’adage... Les pierres en se réchauffant se sont élargies de façon à maintenir
la structure intacte bien que nous ayons retiré le bloc avec le symbole
solaire. La nuit, pourtant, elle tient grâce à lui. (Je demeurai pensif
quelques instants.) J’imagine qu’un phénomène du même genre a dû se produire à
San Juan de Ortega. Si j’avais pu le comprendre à temps, la crypte ne se serait
pas effondrée.
— Et qu’allons-nous faire maintenant ?
demanda Sara.
— Nous allons partir à la recherche de mes
compagnons. Nous sommes devenus une proie trop facile pour les Templiers :
un homme de haute stature, une femme aux cheveux blancs et un garçon
efflanqué : combien de temps pensez-vous qu’ils mettront à nous rattraper
si nous ne trouvons pas rapidement un refuge sûr ? Je considère que ma
mission est terminée, le mieux est donc de chercher la maison des hospitaliers
la plus proche pour demander protection et attendre de nouvelles instructions.
— Partons sans tarder, père, dit Jonas d’un
ton préoccupé. Les Templiers ne vont pas tarder à venir chercher nos corps.
— Tu as raison, mon garçon, dis-je en me
mettant debout.
J’offris ma main à Sara pour l’aider à se lever.
À ce contact mon coeur, déjà malmené par les événements récents, battit plus vite.
La lumière du soleil, de ce soleil qui nous avait sauvé la vie, donnait à ses
yeux noirs des reflets magiques et ensorcelants.
Il nous fallut deux jours pour parvenir à
Villafranca del Bierzo et trouver enfin signe d’une présence hospitalière. Le
chemin fut pénible et fatigant car non seulement nous marchions depuis la
tombée du jour jusqu’à l’aube, dormant de jour dans des cachettes improvisées,
mais avec le froid et l’humidité de la nuit, Jonas contracta une infection des
oreilles très douloureuse. Pour éviter toute purulence, je lui appliquai des
compresses chaudes ; elles auraient eu un meilleur effet si le garçon
avait pu se reposer sur un confortable lit de paille au lieu de marcher sous la
froide lune de ce début d’octobre.
Un frère chapelain nous reçut à l’aube à la
porte de l’église de San Juan de Ziz, située au sud de Villa-franca, qui
arborait la banderole de mon ordre. Cette localité, riche en vignes grâce aux
« moines noirs » de Cluny qui avaient apporté des ceps de France,
était fameuse pour une certaine particularité :
Weitere Kostenlose Bücher