Iacobus
à
Rhodes ?
Je notai un accent de peur dans sa voix qui me
surprit. Tandis que je nageais en plein bonheur, il avait dû envisager la
possibilité de mon retour sur l’île. Je n’eus pas le coeur de lui mentir.
— Il est possible que l’on m’en donne
l’ordre, en effet.
Je me tournai et les laissai seuls. Frère
Valerio et frère Ferrando m’attendaient en bas. Un lourd silence m’accueillit
tandis que je me soumettais à leurs regards accusateurs.
— La situation est déjà assez compliquée,
frère, me dit froidement Valerio sur un ton de récrimination.
— Je le sais, dis-je humblement.
Ce n’était pas le moment de jouer les fiers.
— Vous avez sans doute clairement mesuré
les conséquences de votre acte avant de mettre cette femme dans votre lit.
— Oui, frère.
Les deux hommes me fixèrent d’un regard glacial.
Ils ne pouvaient comprendre qu’un chevalier de mon rang soit disposé à tout
perdre, à être expulsé de l’Ordre et déshonoré, pour une vulgaire affaire de
jupons. Ils échangèrent un regard plein de sous-entendus et gardèrent le
silence.
— C’est bien, lâcha à la fin frère Valerio.
Nous n’avons plus de temps à perdre. Il est urgent que vous continuiez votre
mission, frère Galcerán. C’est la seule chose qui nous intéresse pour
l’instant. Ce petit incident sera donc momentanément oublié. Vous laisserez vos
compagnons à la forteresse de Portomarin à la charge de don Pero, et vous
achèverez le travail dont vous a chargé Sa Sainteté.
Je mis quelques secondes à réagir, et la
surprise dut se refléter sur mon visage car frère Ferrando fit un geste
d’impatience comme un père fatigué de supporter les impertinences de son fils.
— Peut-être n’avez-vous pas compris vos
ordres ? demanda-t-il, très irrité.
— Excusez-moi, frère Ferrando, dis-je,
reprenant mes esprits, mais je ne vois pas de quelle mission vous voulez
parler. L’affaire est compromise depuis que j’ai été capturé par les Templiers
à Castrojeriz.
— Vous vous trompez, frère. L’or que vous
avez trouvé ne correspond nullement aux sommes calculées par les procurateurs
des commissions d’investigation. Il atteint à peine la somme ridicule de
cinquante millions de francs.
— Mais c’est une immense fortune !
protestai-je.
Pendant un instant, je fus tenté de leur
raconter ce que j’avais vu à Las Medulas, de parler de l’immense basilique, de
l’arche d’alliance, du parchemin de cuir... Mais quelque chose me retint ;
un instinct irrationnel scella ma bouche.
— C’est une misère ! Sachez que notre
ordre se trouve fortement endetté vis-à-vis du roi de France à cause de procès
coûteux – pour de stupides raisons de procédure, tout est à notre charge – et
que les rentes que nous payons à vie à certains anciens Templiers plus le
maintien des prisonniers et l’administration de leurs biens sont en train de
vider nos coffres et ceux de l’Église. Vous devez donc continuer à chercher ce
maudit trésor et le trouver, pour votre ordre et le Saint-Père, coûte que
coûte.
— Même si c’est au prix de ma vie ?
— La vôtre et cinquante autres s’il le
faut, Perquisitore, laissa échapper frère Valerio d’une voix coupante.
Je disposais de peu de temps pour réfléchir et
pourtant j’en avais désespérément besoin. Je ne nierais pas maintenant que ce
fut pourtant à cet instant précis, au cours duquel je posais mille questions
qui n’avaient rien à voir avec le sujet pour distraire mes interlocuteurs, que
j’organisai le prochain coup à jouer. Mon amour pour Sara et mon fils avait
sonné le glas de ma fidélité à l’ordre de Saint-Jean. Les hommes que j’avais
tant respectés et admirés n’étaient plus que les ombres d’une vie passée vers
laquelle je ne retournerais plus jamais. Il était évident que je n’avais pas la
moindre intention de me séparer de Sara et de Jonas, ils étaient devenus mon
seul ordre, mon seul destin et mon seul foyer, mais échapper aux hospitaliers,
aux Templiers et à l’Église en même temps, cela faisait beaucoup pour un moine
renégat. Je ne pouvais imaginer d’imposer à mon noble et vieux père l’infâme
charge de cacher, en son château, un fils déshonoré accompagné de son bâtard et
d’une magicienne juive. C’était tout simplement impensable. Il ne me restait
pas beaucoup de possibilités, le monde était trop petit, et je devais réfléchir
dans le
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