Iacobus
Sa
suivante lui tendit un mouchoir, mais elle le repoussa. Cette femme qui avait
su résister aux luttes de la Cour, tout aussi dangereuses qu’un combat entre
des armées ennemies, pleurait encore trois ans plus tard au souvenir de la mort
de l’homme qu’elle avait aimé comme une demoiselle énamourée. Indubitablement,
le poison qui avait tué Nogaret était dans la bougie. Il pouvait s’agir d’un
composé sulfurique, d’un dérivé gazeux du mercure puisqu’il n’avait pas été
ingéré mais brûlé, mais pour en avoir la certitude, il me fallait consulter un
traité de poisons et contrepoisons, ou mieux encore, aller voir la
magicienne...
— Vous pensez qu’on vous a donné une bougie
empoisonnée ?
— Bien entendu. Je suis prête à le jurer.
— Et pourquoi ne pas avoir dénoncé cette
femme ? Pourquoi ne pas avoir dit la vérité ?
— Vous pensez vraiment que l’on m’aurait
crue ? Écoutez bien, monsieur le médecin, ce que je vais vous dire :
la personne qui a tué Guillaume est la même que celle qui m’a fourni les
cendres, et que Dieu me pardonne pour ce que je viens de dire.
— Mahaut d’Artois !
— Je n’ai rien dit. Notre conversation
s’arrête là. Je n’ajouterai pas un mot. Vous avez obtenu ce que vous vouliez.
J’espère que vous tiendrez votre parole et que vous saurez respecter le serment
que vous avez fait.
Béatrice d’Hirson se trompait. Je n’avais pas
encore obtenu tout ce que je voulais. En dépit du long chemin parcouru pour
arriver jusque-là, je ne disposais pas encore de preuves à présenter à Sa
Sainteté sur l’origine de ces morts suspectes. Je savais que je ne retrouverais
jamais la trace des médecins arabes d’Avignon, ni des paysans de Rouen, par
contre, cette sorcière vivait encore dans le ghetto et devait connaître les
assassins de Nogaret.
— N’ayez aucune crainte. Mais j’ai une
dernière requête à vous faire pour résoudre cette énigme et vous libérer à
jamais de tout soupçon : donnez-moi le nom de la sorcière.
— À une autre condition, répondit Béatrice.
Que vous ne lui disiez pas que c’est moi qui vous envoie. Mahaut d’Artois
serait aussitôt au courant et cela pourrait entraîner une série d’événements
qui risqueraient de nous mettre en danger vous et moi. Ne sous-estimez pas son
pouvoir ! Elle n’a qu’un seul but : voir ses futurs petits-fils
couronnés rois de France, et pour cela elle serait capable... Elle a été et
sera capable de tout, croyez-moi.
— Soyez sans inquiétude, madame. Vous ne me
connaissiez pas et pourtant vous m’avez accordé votre confiance. Je saurai m’en
montrer digne. Je vous jure de ne jamais parler de vous. Partez en paix, je ne
dirai rien et mon jeune compagnon non plus.
— Merci, monsieur. J’espère que vous
tiendrez parole, c’est tout.
Elle frappa de la main sur le plafond du
carrosse qui s’arrêta brusquement.
— Le nom, madame, le nom, la pressai-je
avant de descendre.
— Ah ! oui, elle s’appelle Sara. Elle
vit dans la rue des Orfèvres. Vous verrez, tout le monde la connaît.
Quelques instants plus tard, le carrosse
s’éloignait, nous laissant seuls au milieu du quai des Célestins. Il devait
manquer environ une heure pour complies, et la nuit était glaciale.
— Retournons à l’auberge, me demanda Jonas
en claquant des dents. J’ai froid, j’ai faim et je tombe de sommeil.
— Je regrette mais il te faudra attendre
encore un peu. Nous devons nous rendre sans tarder au quartier juif. Je crains
que la nuit ne soit encore très longue.
Il me regarda avec des yeux exorbités.
— Au quartier juif ?
Les ruelles propres, étroites et parfumées à la
cannelle, à l’origan et au clou de girofle du ghetto me rappelèrent
instantanément celles des quartiers juifs castillans que j’avais connus dans ma
jeunesse, ou encore des calls d’Aragon et de
Majorque que j’avais visités dans mon enfance. Nous marchions au hasard,
éclairés par la lueur bleutée de la lune, complètement perdus entre des rangées
de masures serrées les unes contre les autres, et désertes pour la plupart.
J’espérais que tôt ou tard quelqu’un finirait par se pencher à la fenêtre ou
apparaître sur le seuil de sa maison pour pouvoir lui demander dans quelle
maison vivait Sara. Les Juifs avaient été expulsés de tous les royaumes de
France en 1306, mais quelques groupes qui avaient fini par s’adapter aux
nouvelles conditions
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