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Iacobus

Iacobus

Titel: Iacobus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matilde Asensi
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l’époque des conflits avec Boniface VIII, après la libération du pape
par le soulèvement populaire, quand ce dernier rentra d’Anagni. Quelle
époque ! Je venais de perdre mon mari, Guillaume était l’homme le plus
puissant de la Cour. (Elle poussa un soupir de mélancolie.) Surgit ensuite le
problème des Templiers. Guillaume disait qu’il fallait en finir avec eux parce
qu’ils représentaient « un État pourri dans un État sain ». Il fut à
l’origine de la campagne contre l’Ordre, fit emprisonner Molay et le traîna
jusqu’au bûcher. Ce jour-là... Elle s’interrompit un instant, pensive, avant de
reprendre : Le jour de la mort de Molay, il était fou de rage. « Ils
vont me tuer, Béatrice, me disait-il d’un ton très convaincu, ces bâtards vont
me tuer. Leur grand maître leur en a donné l’ordre avant de mourir ; je ne
passerai pas l’année ! » À la mort du pape, l’état de santé mentale
de Guillaume empira beaucoup.
    — Que lui arriva-t-il ?
    — Il ne dormait plus. Il passait ses nuits
à travailler, et comme il ne se reposait pas, se montrait toujours inquiet et
de mauvaise humeur. Il criait pour un oui ou pour un non. Il ordonna que tous
ses repas soient d’abord goûtés par un serf en sa présence pour éviter qu’on ne
l’empoisonne, et il ne sortait jamais dans la rue sans une escorte de douze
hommes. Le royaume connaissait alors de graves problèmes, la Cour était secouée
par des rumeurs de malversation dans les finances publiques. Les nobles, les
bourgeois et les clercs s’opposaient à la politique fiscale du roi. De
dangereuses alliances se nouèrent entre la Bourgogne, la Normandie et le
Languedoc. Et comme si tout cela ne suffisait pas, les luttes pour le pouvoir
entre les différents membres de la famille royale devinrent quotidiennes. Pour
finir, le roi lui-même se montrait encore plus préoccupé que Guillaume par la
malédiction de Molay. Tout allait mal, dit-elle avec un nouveau soupir.
Finalement, une nuit, une bien triste nuit, Guillaume m’annonça que notre
relation devait cesser, que nous ne pouvions continuer à nous voir. Bien sûr,
je protestai (chose qu’une dame ne doit jamais faire mais que je fis). Il
m’assura qu’il ne m’aimait plus, et qu’il avait trouvé une compagne plus jeune.
(Elle ne put retenir un gémissement étouffé.) Je ne pouvais me résigner. Je
savais que tout cela était faux et que Guillaume désirait seulement garantir ma
sécurité en m’éloignant de lui. Je n’eus pas d’autre choix que de me tourner
vers...
    Elle se tut.
    — Vers qui ?
    — Une magicienne qui avait souvent déjà
rendu de bons services à Mme d’Artois.
    — Vous avez eu recours à une
sorcière ? dis-je stupéfait. Vous ?
    — Oui, une Juive qui habite dans le ghetto
et travaille pour des dames de la Cour.
    — Que lui avez-vous demandé ?
    — Je voulais quelque chose qui puisse aider
Guillaume, qui calme ses nerfs, l’aide à se reposer et le fasse revenir vers
moi.
    — Et que vous a donné cette femme ?
    — D’abord il a fallu que je lui apporte une
bougie prise dans l’appartement de Guillaume, puis elle m’a dit de demander à
ma dame Mahaut une pincée de cendres qui ont le pouvoir surnaturel d’attirer le
démon.
    — Comment, la belle-mère du roi serait elle-même
adepte de ces pratiques ?
    — Il s’agissait des cendres de la langue
d’un des deux frères d’Aunay. Mais je présume que vous ne savez pas de qui je
veux parler.
    — Non, je ne vois pas.
    — Les frères d’Aunay, murmura-t-elle,
furent les amants de Jeanne et de Blanche de Bourgogne.
    — Les épouses de Philippe le Long et de son
frère Charles, les filles de Mahaut d’Artois !
    — En effet. Les frères d’Aunay furent
condamnés à être brûlés vifs. Sur les indications de la sorcière, Mahaut
d’Artois recueillit sur le bûcher la langue à moitié brûlée d’un des frères, et
la réduisit en cendres. On dit que grâce à elles le Malin vous concède : tout
ce que vous demandez. Ma dame Mahaut m’en offrit une pincée que j’apportai avec
la bougie à la Juive. Elle me demanda de revenir chercher la bougie contenant
le sortilège la semaine suivante, qu’il ne suffirait de la remettre à sa place
et d’attendre qu’elle agisse.
    — Et vous avez suivi ses instructions à la
lettre...
    — Oui, pour mon malheur puisque la nuit
même Guillaume mourait.
    Béatrice d’Hirson éclata en sanglots.

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