Iacobus
fais pas une bêtise,
dit-elle alors que nous quittions la maison abandonnée. Si Evrard m’a demandé
de brûler ces papiers, c’est qu’il devait y avoir une raison. J’aurais dû
accomplir ses désirs. Ils contiennent peut-être quelque chose que vous ne devez
pas savoir.
— Je vous jure, Sara, que je n’en ferai pas
un mauvais usage.
Elle ne paraissait pas très convaincue, mais une
fois arrivée chez elle, elle sortit de sous la paillasse quelques documents
jaunis et tachés qu’elle me remit non sans un sentiment de culpabilité. Je les
pris d’un geste brusque et m’approchai d’une table en les dépliant avec soin
pour ne pas les casser. J’eus soudain un malaise, une sensation de tournis, et
je dus m’asseoir pour continuer ma tâche. Je n’allais pas m’arrêter maintenant
alors que je touchais au but.
Le premier papier contenait le dessin grossier
d’un imago
mundi. Dans un cadre représentant l’océan universel, un cercle
était entouré de douze demi-cercles portant des noms de vent : Africus,
Boreas, Eurus, Rochus, Zephirus... À l’intérieur du cercle, la Terre se
présentait en forme de T avec les trois continents qui forment le monde :
l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Trois villes étaient situées à chaque
intersection : Rome, Jérusalem et Saint-Jacques, les trois axes du monde.
Au nord était inscrit le jardin d’Eden. Cette carte imparfaite indiquait aussi
les constellations célestes pour aider à trouver un ordre cosmique à une date
déterminée, et situait le Soleil et la Lune à l’extrême gauche.
Je dépliai la deuxième feuille par-dessus la
première avec délicatesse. Plus petite, elle était couverte de chiffres arabes
ordonnés en colonnes et accompagnés de dates en hébreu et de sigles latins. La
couleur de l’encre reflétait le passage du temps entre les premières et les
dernières annotations. C’était la même écriture que sur l ’imago
mundi. J’en déduisis que les documents avaient été écrits par
Evrard. Après avoir longuement réfléchi, je parvins à la conclusion qu’il
devait s’agir d’un registre d’activités menées pendant dix ans depuis la moitié
du mois juif de Shevat de l’année 5063 – c’est-à-dire au début du mois de
février 1303 – jusqu’à la fin d’Adar de 5073. J’essayai de découvrir quel type
d’activités avait pu être si soigneusement comptabilisé par le vieux Templier
sans y parvenir. S’il s’agissait de sommes d’argent sorties clandestinement de
Paris, la quantité était incommensurable.
Le troisième document contenait ce que je
cherchais depuis si longtemps : la copie manuscrite d’une lettre signée
par Evrard et Manrique communiquant à un destinataire inconnu le succès de leur
mission qu’ils appelaient « La réparation d’Al-Yedom » ou, ce qui
revenait au même, la malédiction de Jacques de Molay.
Je me levai avec une profonde exclamation de
satisfaction. Maintenant, pensai-je, le pape aura si peur de se faire
assassiner qu’il n’hésitera pas à donner l’autorisation de créer le nouvel
ordre militaire des chevaliers du Christ. Mon travail, du moins la partie
relative aux assassinats de Clément V, Philippe le Bel et Guillaume de Nogaret,
était fini. Il ne me restait plus qu’à remettre ce document à Avignon et
rentrer chez moi.
Mais il restait encore un quatrième parchemin,
tout petit, dépassant à peine la paume de ma main. Je me penchai de nouveau sur
la table et l’examinai. Il s’agissait d’un texte en hébreu qui semblait n’avoir
aucun sens :
C’était incompréhensible. L’alphabet utilisé
n’appartenait pas à la langue que je croyais si bien connaître.
— Sara ! appelai-je, venez voir.
Avez-vous la moindre idée de ce que cela signifie ?
Elle se pencha par-dessus mon épaule.
— Je regrette, dit-elle avec un mouvement
de colère, je ne sais pas lire.
Que diable signifiait ce charabia ? Ce
n’était pas le moment de me mettre martel en tête. J’avais la tête qui tournait
de plus en plus et sentais un irrépressible besoin de dormir. Comme j’avais
vieilli ! Du temps de ma jeunesse, je pouvais passer deux ou trois jours
sans dormir et sans ressentir aucune fatigue. La vieillesse ne pardonne pas, me
dis-je.
— Vous n’avez pas bonne mine, remarqua Sara
qui m’observait. Vous devriez vous allonger et vous reposer un peu. Vous êtes
vert.
— Non, je suis vieux, c’est tout,
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