Iacobus
veux comprendre, c’est pourquoi il s’est
montré si agressif.
— L’intensité de la haine envers les Juifs
varie notablement d’un endroit à l’autre. Apparemment, elle revêt ici une
virulence particulière pour une raison que nous ignorons.
— Je veux vous accompagner au quartier
juif.
— Je participerais volontiers à cette
promenade, déclara Personne.
— Et moi, je veux y aller seul, annonçai-je
d’un ton qui n’admettait pas de réplique, regardant fixement Jonas pour lui
ôter toute envie de me contredire.
Je ne voulais pas de Personne à mes côtés et je
ne voyais pas comment emmener Jonas sans inviter aussi le vieil homme. Je crois
que mon fils comprit, car il accepta mon ordre sans rechigner. Une fois le
dîner terminé, tous deux prirent le chemin du dortoir, et je sortis à la rue à
la recherche du quartier juif.
Je le trouvai près du couvent de San Domingo.
Les portes de la madinat al yahud [18] allaient être
fermées et je dus supplier le bedin [19] de me laisser passer.
— Que venez-vous chercher ici à cette
heure, monsieur ?
— Je cherche des renseignements sur un
groupe de pèlerins qui a dû traverser Estella récemment. Ils se dirigeaient
vers Léon.
— Ils venaient de France ? voulut savoir
le garde.
— En effet. Vous les avez vus ?
— Oh oui ! Ils sont passés hier matin.
C’étaient les distinguées familles Ha-Levi et Efraim de la ville française de
Périgueux, m’apprit-il. Ils ne sont pas restés très longtemps. Ils ont mangé
avec les muccadim [20] et sont
repartis. Une femme qui voyageait avec eux est demeurée parmi nous jusqu’à
aujourd’hui. Mais elle nous a quittés à l’aube, seule. Une vraie berrieh [21] , murmura-t-il.
— Elle ne s’appelait pas Sara par hasard,
Sara de Paris ?
— En effet.
— Vous avez raison, c’est une femme de
caractère. Que savez-vous d’elle ?
— Oh ! pas grand-chose. À ce qu’il
paraît, elle a eu des problèmes avec les Ha-Levi et a décidé de se séparer du
groupe. Elle a acheté un cheval hier après-midi, et est partie ce matin à la première
heure, en direction de Burgos, je crois.
— Cette femme, elle avait bien les cheveux
blancs ?
— Et plein de taches de rousseur ! Il
est si rare de voir une femme juive avec des taches sur la peau comme elle. Du
moins ici en Navarre, je n’avais jamais vu ça.
— Merci, bedin. Vous m’avez appris
tout ce que je voulais savoir.
— Monsieur, si je peux vous demander...,
dit-il tandis que je m’éloignais.
— Oui ?
— Pourquoi la cherchez-vous ?
— Si je le savais moi-même, bedin ,
répondis-je en secouant la tête, si je le savais...
Chaque fois que nous arrivions dans un village,
Sara venait de le quitter. Tous ceux que nous interrogions, à Azqueta, Urbioa,
Los Arcos, Desojo ou San-sol, nous faisaient la même réponse. Ce maudit destin
l’éloignait sans cesse de nous. Notre lenteur m’exaspérait. Nous avions beau
forcer nos montures, depuis que nous avions quitté Estella nous devions lutter
contre un vent rageur et une pluie persistante qui couvrait de boue chemins et
sentiers.
Je décidai de rester quelque temps dans la ville
de Torres del Rio, située à une demi-journée à peine de Logrono, en voyant
l’élégante tour de son église à l’architecture octogonale. Je ne pouvais
manquer cette halte !
Mais je dus d’abord vaincre la résistance tenace
de Personne qui paraissait encore plus pressé de rattraper Sara que nous. Je
lui donnai une explication fallacieuse sur les prières que j’avais promis de
faire, mais elle ne parut pas le convaincre, et tandis que nous essayions
d’observer l’intérieur de l’église – jumelle de celle d’Eunate –, il ne cessa
de nous importuner et de nous gêner par ses observations stupides. Je pus
néanmoins échanger quelques paroles avec Jonas pour lui faire remarquer
certains détails importants.
Les différences entre les chapelles d’Eunate et
de Torres del Rio étaient imperceptibles. Toutes deux présentaient la même
structure et les mêmes représentations, et un chapiteau différent des autres,
situé à droite de l’abside, avec un message évangélique erroné. Cette fois, il
ne s’agissait pas de la résurrection miraculeuse de Lazare, mais de celle de
Jésus lui-même : deux femmes contemplaient dans une attitude hiératique le
Saint-Sépulcre vide avec la dalle à moitié ouverte. Leur immobilité était
totale, leur absence
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