Iacobus
s’amoncelaient maintenant sous le chapiteau de
l’Annonciation. Ils se dépêchaient de réparer les dégâts causés par
l’écroulement. Le couvercle du sépulcre soutenait toute la structure de la
chambre secrète. En l’enlevant nous avions provoqué cette chute de pierres
comme quelqu’un l’avait minutieusement calculé. Un détail avait dû
m’échapper...
— Si je ne vous tue pas, criait le comte,
furieux, c’est parce que votre mission commence à porter ses fruits. Mais le
pape sera informé de votre conduite et vous pouvez être sûr qu’elle ne restera
pas impunie.
— Je vous l’ai déjà dit, comte, c’était
nécessaire.
— Mes hommes vont finir de réparer les
dommages que vous avez causés, et il ne restera aucune trace de votre passage
quand le jour se lèvera. Mais si les Templiers venaient à soupçonner ce que
vous êtes en train de faire, ni vous ni votre fils ni cette femme qui vous
accompagne ne vivrez assez longtemps pour voir une nouvelle aube.
— Et notre hôte, que pensez-vous faire de
lui ?
— Oubliez-le. Il n’existe plus. Cette nuit
même quelqu’un occupera sa place.
Le pauvre homme, mêlé bien malgré lui à une
intrigue qui le dépassait, allait se retrouver écrasé sans miséricorde.
— Reprenez vos affaires, et partez,
poursuivit le comte. Et souvenez-vous : la prochaine fois que vous prenez
une initiative de ce genre sans m’en parler, votre mission prendra aussitôt
fin.
— Je ne désire pas autre chose,
répondis-je, sachant parfaitement que nous ne parlions pas du tout du même
genre de fin.
J’obéis néanmoins aux ordres du comte et me
retrouvai avec mes compagnons en pleine nuit sur le chemin de Burgos. Il nous
fallait traverser une forêt de chênes et de pins. La lune nous guidait tandis qu’on
entendait au loin les hurlements des loups. Nous n’avions pas d’autre direction
que celle que nous indiquait le destin, et nous nous dirigions vers lui :
les Mendoza, frère et soeur, nous attendaient.
V
C’est à la mi-journée, sous un soleil brillant,
que nous fîmes notre entrée dans la magnifique ville de Burgos, capitale du
royaume de Castille. Déjà, sur la route, le vacarme des chariots, des
voyageurs, des animaux et le nombre grandissant de pèlerins prouvaient que nous
approchions de la cité la plus importante de toutes celles que nous avions
traversées. Il nous fallut donner des coups de coude pour nous frayer un
passage et traverser le petit pont qui enjambait le fossé près de l’église de
San Juan Evangelista et débouchait sur une des portes de la ville. Bien que les
contrôles fussent rares à cette heure d’affluence, les gardes nous demandèrent
nos sauf-conduits et ne nous laissèrent passer qu’après les avoir examinés avec
attention. La large voie pavée qui traverse Burgos et forme une partie du chemin
de Compostelle était flanquée de bruyantes auberges et tavernes, d’innombrables
boutiques qui vendaient toutes sortes de marchandises et de petits objets faits
par des artisans chrétiens, juifs et morisques. Il flottait sur la ville une
émanation épaisse chargée d’insalubres pestilences. Les médecins devaient avoir
bien du mal à soigner toutes les douleurs de poitrine et maladies intestinales
dont souffraient sans doute leurs concitoyens.
Au lieu de chercher à nous loger comme la
majorité des pèlerins dans l’un des nombreux hospices agglutinés autour de San
Juan, je préférai me rendre avec Jonas dans le somptueux Hospital del Rey, une
opulente demeure gouvernée par les religieuses cisterciennes du proche
monastère de Las Huelgas. Sara, qui avait à peine ouvert la bouche depuis notre
départ de San Juan de Ortega, devait loger chez un parent lointain, un certain
don Samuel, rabbin qui avait été receveur des douanes du défunt roi Fernand IV
et demeurait dans le grand et prospère quartier juif de la ville.
Burgos comptait de nombreuses et belles églises
mais aucune n’égalait la cathédrale, d’une perfection éblouissante. Je la
contemplai, bouche bée, comme frappé par une glorieuse vision céleste. Le futur
se souviendra peut-être de Burgos grâce à ses héros comme le chevalier Rodrigo
Diaz de Vivar, dit le Cid, dont les exploits figurent déjà dans les chroniques
et les récits des baladins, mais je ne doute pas qu’ils seront surpassés par sa
cathédrale, magnifique exemple de la création de l’homme.
Non loin de là se trouvait, malheureusement,
Weitere Kostenlose Bücher