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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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plafond.
    — Vous y pensez réellement, sire ? s’inquiétait
Duroc. Combien de temps mettraient les lettres de Paris ?
    — Combien de mois pour y parvenir ? demandait
Eugène.
    — J’ai consulté les cartes. D’Astrakhan on traverse la
Caspienne, on atteint Astrabad en dix jours. De là, un mois et demi pour gagner
l’Indus…
     
    La salle de spectacle aménagée dans une aile de l’hôtel
Posniakov ressemblait à un authentique théâtre à l’italienne, avec l’arrondi
des deux rangs de loges, le parterre, la fosse pour un orchestre. Des lustres
du Kremlin pendaient au-dessus de la scène sans décor ; la troupe y jouait
sur un fond de tentures ; peu de meubles pour accessoires. Une file de
lampions servait de rampe. Les musiciens de la Garde, sur des chaises, se
préparaient à improviser des morceaux de leur choix pour souligner les effets
ou assurer des liaisons ; avouons qu’ils n’étaient pas coutumiers de ce
style de musique mais que cela les occupait entre deux parades. Les officiers
et les personnels civils garnissaient les loges ; les soldats s’asseyaient
au parterre ou restaient debout contre les colonnes. Les tambours roulèrent
pour couvrir le brouhaha, et le grand Vialatoux s’avança en costume de marquis,
le visage poudré de talc ; il fit un geste, le silence s’établit et il
déclama :
     
    Voilà les Français
à vos trousses,
    Alexandre mettez
les pouces :
    Ce n’est pas là
des jeux d’enfants.
    On vous en fera
voir de dures
    Pour vous être
rendu parjure,
    À
Saint-Pétersbourg nous irons
    Tout en vous
chauffant les talons
    Avec Napoléon,
avec Napoléon…
     
    Une ovation l’empêcha de continuer. Il étendit les bras, se
courba le plus bas possible, jubilait de son triomphe, mais, jugeant que les
applaudissements faiblissaient, il se redressa :
    — Messieurs, la troupe des comédiens français de Madame
Aurore Barsay a l’honneur, cet après-midi, de vous présenter Le Jeu de
l’amour et du hasard de Monsieur Marivaux !
    La musique entama une marche impériale, puis, sous la
lumière des centaines de bougies, la comédie commença au son des clarinettes.
Mademoiselle Ornella sortit de la coulisse dans le rôle de Silvia, somptueuse,
en jupe de velours à galons, le bustier taillé dans une chasuble, les épaules
nues et la gorge en valeur, avec des minauderies un peu forcées :
    —  Mais encore une fois, de quoi vous mêlez-vous,
pourquoi répondre de mes sentiments  ?
    —  C’est que j’ai cru que, dans cette occasion-ci,
vos sentiments ressembleraient à ceux de tout le monde.
    La rousse Catherine lui donnait la réplique en soubrette,
tablier coupé dans un surplis, les poings aux hanches et les pieds dans des
chaussons.
    Les spectateurs des loges prenaient un air pénétré ; au
parterre on n’y comprenait goutte mais on écarquillait les yeux : cette
Silvia, assez pimbêche, avait un bien fascinant décolleté. Lorsqu’ils
changeaient de scène, les personnages passaient derrière un grand paravent
chinois incrusté d’oiseaux en nacre. Silvia disparaissait d’un côté, de l’autre
surgissait Vialatoux en Orgon ou en Dorante, car les hommes interprétaient
plusieurs rôles, changeant de chapeau ou de cape, ce qui désorientait
sérieusement le parterre. Le dragon Bonet se sentait perdu. Il demanda à
Paulin, au fond de la salle, de lui expliquer la pièce.
    — Très simple, disait Paulin, la maîtresse prend la
place de sa servante pour juger la sincérité du fiancé qu’on lui destine, mais
lui, de son côté, prend la place de son valet.
    — Ça change quoi, hein ? La servante, même
déguisée en marquise, elle parle toujours comme une servante.
    — C’est pour l’effet comique.
    — Ça me fait pas rire.
    La salle criait et trépignait, maintenant, parce qu’Ornella,
affublée cette fois en soubrette, venait de faire craquer son corsage dans le
dos :
    — Bravo !
    — Le corsage ! le corsage ! scandaient les
grenadiers.
    — T’es sûrement mieux sans, ma poulette !
    Très digne, Ornella poursuivait son texte, comme si rien ne
s’était passé. Imperturbable lui aussi, Vialatoux en Dorante récitait :
    —  Je vais partir incognito, et je laisserai un
billet qui instruira Monsieur Orgon de tout.
    Ornella, à part, c’est-à-dire face à la salle :
    —  Partir ! ce n’est pas là mon compte.
    — N’approuvez-vous pas mon idée  ?
    —  Mais… pas trop, reprenait Ornella en Silvia,
montrant

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