Il neigeait
palefreniers du roi de
Naples.
— Après ?
— Le roi a écrit au commandant des avant-postes ennemis
pour les réclamer.
— En quels termes ?
— Vifs.
— Précisez.
— Si les palefreniers ne lui étaient pas rendus, la
trêve serait rompue.
— Après ?
— La trêve est rompue.
— Il n’y avait donc aucune précaution ? Faut-il
que je sois partout !
— Les Russes se cachaient dans un bois en surplomb.
— Après ?
— Ils ont profité du moment où nos hommes fourrageaient
pour donner l’assaut.
— Comment avons-nous répondu ?
— Mal, très mal, sire.
— Détaillez !
— L’artillerie du général Sebastiani est détruite.
— Des prisonniers ?
— Sans doute plus de deux mille.
— Des morts ?
— Trop.
— Et Murat ? Où est Murat ?
— Il charge.
Murat galopait sur une terre durcie par la gelée, il se
guidait au bruit sourd des combats, les mèches tire-bouchonnées de ses cheveux
longs volaient, un soleil pâle allumait ses boucles d’oreilles en diamants, les
tresses d’or de son dolman, les brandebourgs de sa pelisse en sautoir. Il
dirigeait une brigade de carabiniers. Le cuivre de leurs cuirasses et de leurs
casques à chenilles de crin écarlate brillait seul, on ne voyait que ces éclats
de couleur dans la brume diffuse où les habits blancs se fondaient. Ils
surgirent sabre au clair dans le dos de l’ennemi, en hurlant. Les Russes
avaient opéré un mouvement circulaire pour couper à Sebastiani la route de
Moscou ; ils ne s’attendaient pas à cette violente attaque par-derrière.
Les premiers furent sabrés avant même de réaliser un demi-tour, les autres
s’enfuirent. « Feu sur la racaille ! » criait Murat. Ses
cavaliers laissèrent les sabres pendre au poignet, ils épaulaient leurs
carabines et abattaient les fuyards les plus proches d’une salve très
orchestrée, avant de continuer la poursuite.
Murat ne réfléchissait pas. Il fonçait. Capable de jeter sa
cavalerie épuisée à l’assaut de remparts et de fortins, c’était l’homme des
coups de main et du spectacle. Ses subordonnés le connaissaient ; à
Borodino ils avaient tardé à transmettre ses ordres aux escadrons pour qu’il
réalise ses erreurs et change d’avis ; cette lenteur voulue avait sauvé
bien des hommes. Vrai tacticien, boudé par l’Empereur, Davout le contestait et
le haïssait ; il l’accusait d’emmener ses troupes à la mort, sans
résultat, et d’avoir perdu la cavalerie pour se faire valoir. L’Empereur
donnait cependant raison à Murat, son beau-frère impulsif dont il aimait la
fougue et le désordre. Les Russes l’admiraient, ils le redoutaient, voyez-le à
cheval, souple comme un cosaque, courir au-devant des balles et des boulets,
toujours sauf, magique, fou. Il se croyait roi comme les vrais, ce commis
épicier de Saint-Céré, il voulait oublier que les couronnes distribuées par
Napoléon n’étaient que des jouets, que ces royaumes servaient de
sous-préfectures à un Empire plus vaste. Murat avait souhaité le trône de
Westphalie, celui de Pologne, celui de Suisse et celui d’Espagne, mais non, il
fallait le brider, et quand il reçut Naples il en tomba malade. La très blonde
Caroline Bonaparte, son épouse dont il se méfiait, toujours à intriguer dans sa
chambre de satin blanc, trouvait elle aussi cette couronne trop petite pour sa
tête, tant pis, ces Napolitains les adoraient. Napoléon avait appelé Murat en
Russie, il lui avait promis cent mille cavaliers pour l’éblouir ; le roi n’avait
su refuser mais le pouvait-il ? C’était à cheval, avec ses uniformes de
comédie, qu’il se sentait vivre.
Poussés par ses carabiniers, les cuirassiers russes
traversaient une rivière en soulevant des gerbes d’eau. Murat s’arrêta sur la
rive comme devant une frontière. À sa gauche il entendait le canon, des fumées
montaient au-dessus de Winkovo où campait son avant-garde. Il y conduisit sa
brigade, aperçut des cosaques asiatiques aux vêtements multicolores, une foule
nombreuse hérissée de lances. Murat se précipite, le choc est violent. Une
pique lui déchire sa pelisse, il l’attrape au vol, attire contre lui le Tartare
à bonnet pointu, guide son cheval avec les genoux, transperce, taille,
bouscule, passe. Il multiplie les charges avant que l’ennemi refoule vers les
bois ou la rivière, pour trouver un campement ruiné, à demi consumé, des canons
inutilisables, des équipages
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