Jack Nicholson
Il avait été scénariste, expliqua-t-il, et il savait donc que « les scénaristes craignent les scènes thématiques » et qu’il fallait essayer d’« aller au fond des choses avec le moins de dialogues possible ». Il lui vint l’idée de l’expression « débuts prometteurs » pour décrire les premiers pas dignes d’un génie qu’avait faits Bobby Dupea dans le piano classique et déclencher l’effusion de larmes.
« Dès la première prise, j’y suis arrivé. Et je pense que ça a été une vraie révolution. Une révolution pour moi en tant qu’acteur, pour tous les acteurs. Je ne pense pas qu’à cette époque, beaucoup d’acteurs hommes avaient déjà atteint un tel niveau d’émotion. »
L’expression « débuts prometteurs » avait été pensée comme « une allégorie de sa propre carrière », expliqua-t-il, un secret d’acteur qui lui permettait de libérer ses émotions. Quinze ans plus tard, au cours de cette interview de 1986, Jack disait se souvenir distinctement du jour où ils avaient tourné cette scène déterminante sur la falaise : de tout, de l’herbe qui couvrait le sol, de l’odeur qui flottait dans l’air.
Le monologue était du Jack classique – mi-grandiose mi-dubitatif, comme un collier fait de perles dont certaines – un nombre indéterminé – seraient fausses.
Je ne sais pas si tu as envie d’entendre quoi que ce soit sur moi – sur ma vie – la plupart des choses que je pourrais dire, tu ne pourrais pas les relier à un mode de vie que tu approuverais. J’ai beaucoup voyagé, pas parce que je recherche quelque chose en particulier, mais parce que tout devient mauvais quand je reste sur place. Des débuts prometteurs, tu vois ce que je veux dire ?
S’il était rompu à la méthode élaborée de Stanislavski, l’acteur ne s’appuyait pas très souvent sur la « mémoire émotionnelle ». Mais il fit une exception pour cette occasion. À chaque fois qu’on lui demandait, au cours d’interviews, s’il avait pensé « à son propre père (John J. Nicholson) et à sa tragédie » lorsqu’il avait joué la scène de la falaise, Jack répondait : « La réponse est oui, évidemment. »
Le tournage de Cinq pièces faciles s’acheva en janvier 1970, le mois de la mort d’Ethel May. Plus tard, Nicholson confierait à des journalistes que son travail sur ce film avait fait naître en lui beaucoup de « sentiments anti-famille ».
Ce fut le dénouement de Rafelson qui fut retenu : à la fin de Cinq pièces faciles, Bobby, dans une station-service, se regarde dans un miroir puis prend une décision sur un coup de tête. Il laisse tout tomber, quitte Rayette sans même lui dire au revoir, et part vers le Nord après s’être fait prendre en stop par le conducteur d’un camion de transport de bois. Le public ne voit jamais la réaction de Rayette. À la fin du générique, elle part pour aller voir ce qui retient Bobby depuis si longtemps.
C’était précisément le contraire de ce qui se produisait dans la vie privée de Jack (et peut-être était-ce également son rêve), où c’étaient toujours les femmes qui finissaient par se lasser et par partir. Les liens que Jack avait tissés avec Mimi Machu étaient en train de s’effilocher, un peu comme ceux qui unissaient Bobby Dupea et Rayette dans le film.
Tout comme il rattrapait le temps qu’il avait perdu dans sa carrière, Nicholson rattrapait le temps qu’il avait perdu avec les femmes – dans son passé de catholique plein de culpabilité, de puceau malchanceux, et d’homme fidèle et fiable.
Les changements dans les attitudes publiques et l’accroissement des relations extraconjugales à la fin des années 1960 étaient des faits avérés, des faits qui permettaient néanmoins aux trentenaires qui accédaient au pouvoir d’imaginer qu’ils avaient inventé ce que les gens avaient en réalité toujours fait, en particulier à Hollywood.
Bert Schneider, qui détenait le poste le plus prestigieux de BBS , était beaucoup plus impliqué dans le Movement que la plupart des autres personnalités de Hollywood. Les passions politiques de Bert conféraient une belle aura de crédibilité à ses fréquentes dénonciations de l’« exclusivité sexuelle » et de la « nature bourgeoise de la monogamie homme-femme ».
Jack avait sa propre vision des choses, une vision hautement élaborée et tout aussi sophistiquée, mais différente et, par bien des aspects,
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