Jack Nicholson
Connaissant l’intérêt de Kubrick pour le paranormal, il en envoya un jeu chez le réalisateur, en Angleterre. Ce dernier déclara qu’il s’agissait de « l’une des plus ingénieuses et des plus passionnantes histoires de ce genre qu’il eût jamais lues ».
L’expérience de Jack dans le cinéma d’épouvante de seconde zone avec Roger Corman (sans parler de sa propre angoisse de la page blanche) faisait de lui un choix évident pour le rôle de Jack Torrance, le personnage qui accepte de faire office de gardien de l’Hotel Overlook pendant la morte-saison.
« Je pense qu’il est le premier choix de presque tout le monde pour tous les rôles qui pourraient lui convenir », a déclaré Kubrick à l’occasion d’une interview. « Son travail est toujours intéressant, clairement conçu, et il a ce je-ne-sais-quoi, cette magie. Jack convient particulièrement aux rôles qui requièrent de l’intelligence. C’est un homme intelligent et cultivé, des qualités qui sont presque impossibles à jouer. Dans Shining, on a vraiment l’impression qu’il est écrivain, un écrivain raté ou pas. »
Le best-seller de King fut adapté par Kubrick et la romancière et biographe Diane Johnson, qui continua d’apporter des modifications au script jusqu’à la fin de la longue production. Ils rationalisèrent ingénieusement le roman, enrichirent subtilement l’aspect épouvante et inventèrent la plupart des scènes qui sont restées dans les mémoires (Jack tripotant sa machine à écrire, tapant et retapant comme un fou l’unique phrase : « Travail sans loisir rend Jack triste sire. »)
La production de Shining débuta peu de temps après la sortie d’ En route vers le sud, au cours de l’hiver 1978. La Timberline Lodge, près de Mount Hood dans l’Oregon, fut utilisée comme décor pour les plans extérieurs du grand hôtel ; les intérieurs et les extérieurs dans la neige furent recréés dans le EMI ’s Elstree Studio de Londres. Kubrick préférait tourner en studio pour pouvoir exercer un contrôle absolu sur les circonstances. Ses plateaux étaient fermés aux étrangers, ses productions murées dans le silence.
Depuis les années 1960, Kubrick vivait et travaillait presque exclusivement au Royaume-Uni, ses voyages étant rares, ses interviews encore plus. Il avait une réputation de perfectionniste, et pouvait mettre des mois, voire des années, à préparer et à faire un film. On dit que Barry Lyndon avait nécessité pas moins de trois cents jours de tournage. Le tournage de Shining allait être quasiment aussi long – entre dix et treize mois, selon les sources.
D’après les informations qui réussissaient à filtrer, le perfectionnisme de Kubrick mettait tout le monde à rude épreuve. Le réalisateur, qui dans sa jeunesse avait été photographe pour le magazine Look, prêtait une attention toute particulière à la lumière. Parfois, on passait la journée entière à ajuster l’éclairage ; parfois, Kubrick laissait les lumières tranquilles, mais faisait répéter la même prise maintes et maintes fois, alternant les angles et les compositions et recherchant des qualités indéfinissables chez les acteurs.
Au cours de ce long tournage, par exemple, Kubrick imposa à Scatman Crothers, qui jouait le rôle du cuisinier de l’hôtel, pas moins d’une quarantaine de prises pour la scène où Jack Torrance (Nicholson) le frappait avec une hache. L’acteur âgé de 70 ans, qui appartenait depuis longtemps à la troupe de Nicholson, n’en pouvait plus. Jack finit par intervenir en demandant au réalisateur, qui ne semblait pas avoir conscience de l’état d’épuisement dans lequel se trouvait Crothers, de passer à la scène suivante.
Nicholson, pour sa part, pouvait jouer ses scènes en une prise ou en quarante, peu lui importait. Surtout si ces quarante prises étaient destinées à une légende vivante telle que Kubrick, qui considérait la multiplication des prises comme une forme de répétition face à la caméra. Quant à Kubrick, il pensait que le jeu de Jack s’épanouissait grâce à cette technique.
La scène de la salle de bal, dans laquelle Jack Torrance parle à Lloyd, le fantôme d’un ancien barman, fut l’occasion pour Kubrick d’exiger de Nicholson qu’il se soumette à une bonne trentaine de prises. « La prestation de Jack est ici incroyablement complexe, avec des changements d’humeur et de pensées soudains – tout en trilles et
Weitere Kostenlose Bücher