Je n'aurai pas le temps
l’Amérique du Nord ».
Une première occasion de m’investir dans la préservation de la nature m’a été offerte par Allain Bougrain-Dubourg, ce grand défenseur des oiseaux. Il m’avait proposé de participer à une manifestation contre la chasse illégale des tourterelles des bois dans le Sud-Ouest de la France. De retour d’Afrique, ces oiseaux survolent la Gironde et passent au-dessus du Médoc et de la pointe de Grave. Embusqués dans des caches disséminées dans la campagne, des chasseurs par milliers les attendent. Accompagnés par un car de gendarmes, avec ma femme Camille, nous sommes allés à leur rencontre. Je garde un souvenir horrible de cette confrontation : des groupes d’hommes armés dressaient le poing contre nous en hurlant des injures. J’en ai fait des cauchemars. Heureusement, grâce à la détermination d’Allain Bougrain-Dubourg, ces interventions ont porté leurs fruits. Les massacres ont grandement diminué.
C’est dans la décennie 90 que, par deux fois, j’ai rencontré Théodore Monod, un scientifique humaniste et écologiste. Nous avons tous deux participé à un défilé contre la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique. Entre Bastille et Nation, nous nous adressions avec des porte-voix aux maigres attroupements rassemblés sur les trottoirs. Je l’ai aussi vu au Muséum d’histoire naturelle de Paris. C’était lors d’une manifestation contre un projet d’aménagement d’un centre d’essais de pneumatiques dans la plaine des Maures, sur les bords de la Méditerranée. Ce projet menaçait de saccager l’habitat des tortues d’Hermann, une espèce déjà au bord de l’extinction. Il est arrivé dans une chaise portée, pâle et donnant l’image d’un très vieil homme en état de grand épuisement. Des étudiants le portèrent sur l’estrade et l’aidèrent à s’installer sur une chaise. Il releva la tête et nous regarda.
En un instant, ses traits s’illuminèrent et ses yeux se mirent à briller. D’une voix ferme, il nous entretint de la gravité de la situation avec clarté et précision. À la fin de son allocution, pendant les applaudissements, la fatigue et la maladie marquèrent à nouveau son visage et tout son corps. Il s’effondra dans le fauteuil qui l’attendait au bas de la tribune.
Début 1976, Théodore Monod et plusieurs de ses amis avaient fondé un mouvement appelé Rassemblement des opposants à la chasse (R.O.C.). Vigoureuse réaction contre une situation qui se détériorait considérablement. Parmi les résultats obtenus : l’instauration d’un examen pour l’obtention du permis de chasser (auparavant, il suffisait de l’acheter !), la première loi, toujours en vigueur, de protection de la nature, l’évolution de la loi Verdeille qui permettait aux chasseurs de pratiquer leur loisir sur les propriétés privées sans le consentement des propriétaires, la réduction de la période de chasse des oiseaux d’eau qui commençait « traditionnellement » le jour de la fête nationale, sans aucun souci de la biologie des espèces…
Après la mort de Théodore Monod, et comme j’étais déjà membre de l’association, il m’a été proposé d’en devenir le président. Il importait en effet que ce rôle fût occupé par un scientifique connu et ayant déjà montré de l’intérêt pour la cause de la nature et de l’animal. Cette invitation arrivait à point dans ma réflexion.
Depuis un certain temps, je cultivais le désir et l’envie de participer plus activement à la défense de l’environnement. De surcroît, il m’est apparu clairement que le fait d’avoir une certaine notoriété m’imposait une certaine obligation morale : celle de faire servir cet avantage à des causes valables. Les mots ont beaucoup plus de chances d’être entendus par un large public s’ils sont prononcés par des gens connus que par des inconnus.
J’ai demandé un temps de réflexion. L’activité du groupe R.O.C. me posait problème.
D’une part, je ne suis pas un opposant systématique à la chasse. Pour certaines populations humaines, la chasse de subsistance est respectable. En d’autres lieux, cette activité peut jouer un rôle de régulation des populations d’animaux. La récente augmentation des chevreuils dans le Sud du Québec en fournit un exemple. La multiplication desragondins dans certains cours d’eau de France, un autre. Tout comme on fait appel aux pompiers en cas d’incendie, si des
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