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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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Montréal, en même temps que la physique, j’ai découvert la psychanalyse. Avec mon ami musicien Gilles Tremblay et Serge Lapointe, collègue physicien, nous avons entrepris de lire la Psychopathologie de la vie quotidienne de Sigmund Freud, au rythme d’un chapitre par semaine. Nous le commentions chaque dimanche matin. La découverte de l’inconscient fut pour moi une expérience fulgurante, tellement je la sentais susceptible de m’éclairer sur mon propre comportement. Plusieurs questions se bousculaient dans ma tête auxquelles je pourrais réfléchir dans cette nouvelle optique. Par exemple, la pénible expérience de mon ambivalence face au réductionnisme scientifique. Pourrais-je trouver là un éclairage approprié ?
    Il fallait d’abord, me semblait-il, poser à nouveau la question : « Pourquoi avais-je choisi une profession scientifique ? » Au-delà de ma curiosité pour les phénomènes naturels et de mon goût pour les mathématiques, je commençais à soupçonner une autre composante plus obscure mais non moins importante : je cherchais à me rassurer. La science me paraissait être d’un précieux secours contre l’angoisse et les menaces de l’existence. En fait, elle a joué ce rôle à maintes reprises.
    Les éclipses de Soleil ont longtemps été pour les humains des sources de terreur. En les expliquant et en nous permettant de les prévoir, la science les a projetées hors de la sphère obscure de l’angoisse contagieuse et des hystéries personnelles ou collectives. Nous les apprécions toujours mais elles ont cessé de nous effrayer. De même, le tonnerre n’est plus la voix d’une divinité courroucée. Il ne nous jette plus à genoux pour implorer sa miséricorde.
    Pourtant, les pouvoirs de la science ont de sérieuses limites. Je ne parle pas des menaces dont elle est indirectement responsable (guerre nucléaire, bioterrorisme). Mais plutôt d’une dimension intérieure de nous-mêmes à laquelle elle n’a pas accès.
    Tout au long de ma vie, j’ai eu la chance de profiter des acquis de la psychanalyse, non seulement sur les traditionnels divans, mais aussi par des relations amicales prolongées et des conversations interminables avec des spécialistes de ce domaine 1 .
    Je me suis souvent senti très proche de leur mode de pensée, de leur regard sur le monde intérieur et sur le psychisme. J’ai beaucoup lu Freud, mais aussi Jung et Winnicott, qui, à mon avis, ont porté plus loin les intuitions du maître. Françoise Dolto, à qui j’ai demandé comment elle se situait entre ces auteurs, m’a dit : « Freud soigne les racines, Jung soigne les branches. »
    Dans un texte intitulé L’Inquiétante Étrangeté , Freud parle de la composante d’angoisse qui subsiste à des degrés divers en chacun de nous. Bien sûr, dit-il, nous ne croyons plus aux fantômes, le développement de la pensée rationnelle au travers de plusieurs siècles de science a formé en nous une structure logique et des réflexes critiques qui nous font tout simplement hausser les épaules. Mais, dit Freud, il y a quelque part en chacun de nous un personnage – un enfant non rassuré – qui s’éveille à la faveur de l’obscurité nocturne ou de bruits inexpliqués et qui dit : « Et si, après tout, les fantômes existaient ? »
    J’ai retrouvé cette voix en moi à plusieurs reprises. À chaque fois, j’ai senti ma fragilité et ma vulnérabilité et j’ai compris que ma cuirasse scientifique n’y pouvait rien.
    Le besoin de comprendre, aussi bien au niveau d’un événement banal que d’une réalité plus globale, paraît être une nécessité fondamentale de l’être humain. Un bruit étrange reste une source d’angoisse tant qu’il n’a pas été identifié à une cause précise, par exemple quand nous sommes en avion. Est-ce le train d’atterrissage qui se meten place ? Ou un surcroît de puissance nécessaire pour affronter un vent plus violent ? Aussitôt qu’une réponse paraît adéquate, l’anxiété disparaît.
    Mais si l’attente dure et tarde à apporter le soulagement de la réponse, l’angoisse croît et peut devenir insupportable.
    Pendant la Seconde Guerre mondiale, un vieil Indien alcoolique avait provoqué de violents incendies de forêt près d’un grand lac des Laurentides. Craignant, disait-il, l’arrivée prochaine des Allemands, il pratiquait la technique de la terre brûlée. Un flanc de montagne noirci témoignait de sa pyromanie.

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