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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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La police était venue le chercher. Enfermé dans un asile d’aliénés, il s’est pendu.
    Sa maison, une bicoque délabrée, se détériorait rapidement sous le gel et la pluie. Une rumeur voulait qu’il y ait enterré sa femme après l’avoir étranglée. La nuit, disait-on, de vagues lumières apparaissaient parfois aux fenêtres béantes.
    Avec une troupe de scouts, nous campions dans cette région. Un défi était lancé : qui oserait passer la nuit, seul, près de cette maison ? Puisque je ne croyais pas un mot de cette histoire de revenants, pourquoi ne pas relever le défi ? Mais en avais-je vraiment envie ? Le débat intérieur dura longtemps, titillé que j’étais par les remarques moqueuses de mes camarades : « Toi, le futur scientifique, tu as peur ? »
    Un soir, je plante ma tente près de la maison hantée. Je me couche, fermement décidé à y rester toute la nuit. Je dors peu. Au petit matin, je suis éveillé par des bruits sourds autour de la tente, comme les pas incertains d’une marche irrégulière. Qu’est-ce que c’est ? En l’absence de réponse, je panique et m’enferme dans mon sac de couchage. Je sens alors l’urgence d’une hypothèse qui m’éviterait de plonger dans le monde des fantômes. Je n’ai rien pour me retenir. La situation est intenable.
    Je me décide à mettre la tête hors de la tente : personne.Mais les bruits se poursuivent et, soulagement, je comprends : il a plu pendant la nuit et de grosses gouttes tombent des arbres sur les fougères au sol. Je suis rassuré mais je reste troublé de ma propre fragilité. Mes strates fantomatiques ne sont pas très loin.

    La pensée magique
    J’ai souvent l’impression d’être « habité » par des personnages qui, plus ou moins harmonieusement, coexistent en moi. À l’occasion, l’un d’entre eux monte en scène et prend la parole. Puis il redescend discrètement dans l’ombre.
    L’événement que je vais raconter se passe un beau dimanche matin du mois d’août, à la gare de Laroche-Migennes. Je reviens d’une tournée de conférences dans le Sud de la France. Pendant des heures, je me suis délecté à suivre du regard les verdoyants paysages de Bourgogne qui défilaient devant moi.
    C’est bientôt midi, il fait très chaud et le quai poussiéreux de la gare est pratiquement désert. Chargé de plusieurs valises, je me prépare à marcher vers la place du village pour prendre un taxi. C’est alors que je vois venir vers moi un personnage d’allure plutôt inquiétante : un homme jeune, le crâne rasé, portant une veste délavée aux couleurs des légionnaires et chaussé de bottes militaires de type SS. Tout ce que je déteste… Aussi, quand, avec un fort accent germanique, je l’entends me demander quelques pièces d’argent, je détourne la tête et continue mon chemin.
    Pourtant, pendant le court instant où son regard a croisé le mien, j’ai pu apercevoir ses traits fatigués et la pâleur de son visage. Je suis perplexe. Peut-être ce garçon est-il malade ? Ou pour le moins affamé ? Ma première réaction a été un peu hâtive. Une pièce de dix francs, peu de chose, lui aurait permis de s’acheter un sandwich.
    Encombré de mes valises, le trajet est long et pénible. Les corridors malodorants succèdent aux escaliers pentus. À tout instant, cette figure blême me revient en mémoire. Ma main touche une pièce de dix francs dans ma poche de pantalon. Je pourrais revenir et la lui donner. Mais il faudrait redescendre dans ce tunnel nauséabond, reprendre les escaliers du quai avec mes bagages. En ai-je le courage ? Chaque pas qui m’éloigne de lui rend cette décision toujours plus difficile à prendre. J’essaie de me raisonner. « Ça n’est pas un grand drame. Il n’est pas en danger de mort. Il trouvera bien quelque nourriture. Et peut-être est-ce un fainéant qui abuse de la charité publique ? »
    Mais, dans la lumière crue du soleil de midi, je me sens envahi par un malaise. Je suis divisé, je suis deux. Celui qui dit : « Cesse de déconner et oublie cela », et celui qui n’y parvient pas.
    C’est alors que j’arrive sur la place du village. En général, plusieurs taxis y sont en attente tandis que sur un banc les chauffeurs bavardent. Ce jour-là : rien. Le parking est désert. Je m’assois sur le banc, fixant du regard le carrefour par où les voitures arrivent. Des autos passent, mais de taxis point. Cette attente qui se prolonge

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