Je n'aurai pas le temps

du lendemain, je reste à l’écoute jusqu’au rideau final.
    J’ai le grand regret de n’avoir jamais appris à jouer d’un instrument. Mon rêve aujourd’hui serait de jouer du violoncelle dans un quatuor : Schubert, Beethoven ou Mozart par exemple, ou encore Debussy, Ravel. J’envie la violoncelliste qui fait naître de si beaux accents de l’instrumentqu’elle serre amoureusement entre ses jambes. Dans une prochaine vie (on ne sait jamais), je m’y mettrai très tôt…
    Il y a quelques années, grâce à Marie-France Hanseler, alors directrice de l’Institut scientifique de Cargèse en Corse, la salle de cours hébergeait tour à tour des enseignements de science et des séances de musique. Au travers des pratiques et des répétitions, j’ai suivi l’élaboration des œuvres jusqu’à l’achèvement du concert public. Cette école fut pour moi l’occasion de créer des liens d’amitié avec plusieurs ensembles musicaux, en particulier le Quatuor Ludwig et la famille Lethiec. Grâce à eux, j’ai réalisé un rêve que j’avais cru utopique : participer activement à des événements musicaux.
    Michel Lethiec, clarinettiste et directeur du Festival de Prades dans les Pyrénées, m’a proposé de jouer le rôle de récitant dans le Pierre et le loup de Prokofiev. Un peu plus tard, hospitalisé, et dans un grand état d’épuisement, j’ai trouvé dans l’excitation de la préparation de ce projet une énergie nouvelle. L’étude de la partition et l’écoute des multiples versions enregistrées ont illuminé les ternes heures de la routine hospitalière.
    Grâce à l’Ensemble Calliopée dirigé par Karine Lethiec, altiste, fille de Michel, j’ai pu participer comme récitant à plusieurs œuvres comme Babar de Francis Poulenc, Sport et divertissement d’Erik Satie, L’Histoire du soldat de Stravinsky et Le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. Avec le Quatuor Ludwig, nous avons improvisé des spectacles qui associent astrophysique et musique. Des pièces de musique de chambre contemporaine (Dusapin, Berg) alternent avec de brèves causeries sur la créativité de la nature et des compositeurs.
    Michel Lethiec me dit un jour au téléphone : « Eh dis donc, tu n’aimerais pas diriger un orchestre ? » Je sens mon cœur qui s’emballe. « Oui, oui, oui, cent fois oui ! »
    Mais comment me préparer ? Grâce aux DVD des grandschefs d’orchestre (Claudio Abbado, Seiji Ozawa, Pierre Monteux, etc.), j’ai tenté de percevoir, au travers de leur gestuelle, le secret de leur charisme. J’ai pu ainsi diriger La Symphonie des jouets de Leopold Mozart, la Petite Musique de nuit de Mozart fils et deux concertos de Vivaldi. Je participe depuis plusieurs années à des chorales universitaires, en particulier avec mon fils Benoît.
    J’aime le culte de la musique que je sens chez mes amis musiciens. Une sorte de sacralité qui me comble infiniment plus que celle des ecclésiastiques de mon enfance. J’aime les moments délicieux qui précèdent les spectacles : l’ambiance des loges où chacun se prépare, les gammes des instruments qui s’accordent. La tension est contagieuse. Le concert va commencer.
    Par l’action des forces physiques, par la naissance des atomes dans les étoiles, par l’évolution des espèces vivantes, la complexité cosmique croît tout au long des milliards d’années. Comme la nature, le créateur artistique associe des éléments pour obtenir des œuvres aux propriétés nouvelles, sous la double houlette du jeu et des règles musicales. Il se situe dans la plus pure tradition de l’activité du cosmos.

Chapitre 32
    Explorer le monde intérieur
    « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. »
    René Char
    Les mots
    Les mots défilent quand, enfants, nous feuilletons notre premier dictionnaire. Page après page, leur longue liste nous impressionne. Mais ils n’occupent alors que la place assignée par leur classement alphabétique.
    Certains ne feront dans nos vies qu’une éphémère apparition. Noms de personnes rencontrées par hasard, fugitivement. Noms de villages ou de hameaux où nous avons déjeuné au cours d’un voyage. « Comment s’appelait-il donc ce lieu où se situait ce restaurant panoramique, avec terrasse et vue sur une boucle de la Loire ? La serveuse était charmante… » Noms que l’on retrouve en feuilletant de vieux agendas poussiéreux, oubliés au fond d’un tiroir. « Ah