Je n'aurai pas le temps
trois de l’université McGill à Montréal. Faire la connaissance de ceux avec lesquels je serai amené à vivre un certain temps provoque toujours chez moi un indéniable stress. Dès l’arrivée, je m’aperçois que j’ai oublié ma montre, qui pourrait m’être indispensable pour mon travail. Il n’y a pas de bijoutier à Sept-Îles, mais on me conseille un petit marché dans la réserve indienne. J’y trouve une boutique de grigris et autres pattes d’ours. Le marchand, un Indien au regard étrange et inquiétant, me paraît un peu ivre. Il sort d’un tiroir une montre, qu’il m’affirme être en or. Son aspect et son prix (10 dollars) me font soupçonner un objet de pacotille. Mais elle fonctionne, et je n’ai pas d’alternative.
« Je vous propose un marché, lui dis-je. Je vous donne 5 dollars et, si elle fonctionne toujours à mon retour, dans trois mois, je vous verserai le solde. » Il accepte tout de suite, ce qui me rend d’autant plus suspicieux ! Mais, encore une fois, je n’ai pas le choix. En fait, elle a marché un jour entier, puis elle s’est arrêtée, définitivement. Je n’ai jamais compris ce qui s’était passé. Je fus davantage troublé par l’arrêt inexplicable de la montre que par le fait que je n’avais plus l’heure. Le regard de cet homme m’est resté longtemps en mémoire. J’avais l’impression d’avoir été l’objet d’une mystification, et j’ai lancé la montre dans un grand lac…
L’avion qui doit nous emmener dans l’Ungava est des plus inconfortables. Ancien appareil de chasse, il est équipé d’une tourelle centrale autrefois armée de mitrailleuses.Des toiles sales servent de sièges. Le plancher en métal est poisseux, comme, d’ailleurs, tout le reste de l’avion. Le ciel est gris et, quand nous décollons, un orage est annoncé. La tempête fait rage. La glace s’amasse sur les ailes et je regarde les stalactites qui s’allongent sous les montures de métal. Après plusieurs essais infructueux pour trouver la piste, le pilote parvient à établir le contact avec l’aéroport. Une voix métallique peine à couvrir le bruit des moteurs. Je suis la conversation avec une grande attention. Je ne perds pas un mot de ce qui s’échange dans le cockpit. « Votre atterrissage va être difficile. Les sommets des montagnes sont dans les nuages. Vous risquez de les heurter si vous descendez trop bas. Il vaudrait peut-être mieux retourner à Sept-Îles.
– Je ne peux pas. Dans une demi-heure, je n’aurai plus une goutte de carburant. »
Il y a de plus en plus de glace sur les ailes. Il fait froid. Je suis incapable de lire le livre posé sur mes genoux. « L’avion n’a pas de radar. Je descends encore une fois sous les nuages pour tenter de voir la piste », dit le pilote. Nous sortons effectivement de l’épaisse couche cotonneuse. En bas, tout est noir. « Remontez vite et recommencez plus tard », dit la radio. Je pense au réservoir qui se vide progressivement. Le pilote a dit une demi-heure. Mais combien de minutes se sont écoulées depuis ? Je regarde ma montre dorée, qui fonctionne encore. L’avion est déjà redescendu trois fois. Peine perdue ! Les voix qui sortent de la radio ont le calme de ceux qui refusent l’angoisse. En moi, elle monte rapidement… Le pilote tente sa chance une fois encore. Et, soudain, devant mes yeux, le plus réjouissant des spectacles : je vois par le hublot deux lignes parallèles de lumières rougeâtres, puis, plus distinctement, les lampes à pétrole qui bordent la piste. Mon anxiété fait rapidement place à l’exaltation. Je suis dans le Grand Nord !
Le laboratoire dans la toundra
On nous emmène en jeep à Burnt Creek. Une sorte de campement militaire constitué d’une vingtaine de baraques métalliques en forme de demi-cylindres, alignées perpendiculairement aux deux côtés d’une large route en terre battue. Dans chacune, deux rangées de lits superposés en fer. Notre espace personnel est très réduit. Mes trois compagnons et moi partageons quatre lits au bout du couloir central. La promiscuité sera de mise pour de nombreuses semaines. Mais que n’accepterais-je pas pour être au Labrador !
Le laboratoire de chimie est dans une petite cabane en bois. J’y retrouve des instruments qui me sont familiers : paillasses (plans de travail), grosses bouteilles de différentes couleurs marquées « acide ceci », « sel cela », disposées sur des
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