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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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commence. Déjà, dans la partie sombre du firmament, à l’est, ça s’agite beaucoup. Fortement assombrie, la voûte céleste, où luit la Voie lactée, entre lentement en transe. D’immenses draperies vertes et rouges se déploient parmi les constellations et s’y meuvent avec une grande solennité. Soudain, feux d’artifice inversés, des cascades de lueurs vives se précipitent d’un point du ciel vers le sol, bientôt accompagnées de mouvements semblables partant d’autres régions. Le ciel se déchaîne et s’embrase tout entier. Puis à nouveau le calme et le lent déploiement des draperies aux teintes sombres.
    La pyrotechnie ordinaire de nos feux d’artifice signale sa fin par le traditionnel bouquet. On peut rentrer chez soi, la fête est terminée. Ici, rien de tel. Je suis continuellement tiraillé entre la pensée qu’il me faut rentrer pour être en forme au travail le lendemain et l’envie de ne rien manquer de cet envoûtant spectacle. Combien de fois, comptant profiter du répit que me laissait le retour au calme pour quitter les lieux, je me suis pourtant à nouveau lové dans les mousses fraîches, rappelé à la contemplation du ciel par un brusque et nouveau déclenchement d’éclats colorés annonciateur de nouvelles illuminations. Il m’est souvent arrivé de rester jusqu’à l’ultime épisode de la féerie aux premières lueurs de l’aube…

    Conflit intérieur
    « Tout ce que peut espérer la philosophie c’est de rendre la poésie et la science complémentaires, de les unir comme deux contraires bien faits. »
    Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu
    Mes premières rencontres avec la science ne furent pas sans problème. J’en étais un adorateur inconditionnel, maiselle me faisait vivre des moments difficiles. En peu de mots, elle me semblait menacer la dimension poétique du monde : l’émerveillement. J’ai traversé des heures de grande ambivalence pouvant aller quelquefois jusqu’à l’angoisse. Je me sentais confronté à deux aspects de moi-même. Ou plutôt à deux personnages en moi que je devrais faire coexister. Il me fallait donner à chacun son espace vital pour éviter le conflit perpétuel. Je vais essayer de reconstituer quelques éléments de mon cheminement. Il avait commencé au collège pendant les cours du Père Beauséjour, mais ce questionnement prenait maintenant des proportions considérables.
    J’ai raconté comment les théories de Newton sur le mouvement des planètes m’inspiraient la plus grande admiration. Comment, à partir de quelques idées simples sur la gravité universelle, lui et ses successeurs avaient pu élucider des énigmes sur lesquelles l’humanité avait planché en vain depuis des millénaires.
    J’appréciais aussi comment, avec une efficacité tout aussi remarquable, les innombrables manifestations de la lumière étaient maintenant explicables grâce aux équations de Maxwell. Et comment la théorie atomique (la matière est faite de particules élémentaires soumises à des lois immuables) rendait compréhensible une extraordinaire variété de phénomènes naturels.
    Accéder à ces connaissances m’avait inspiré un sentiment grisant, mais avait aussi provoqué de profondes prises de conscience qui furent au cœur de vives discussions avec mes condisciples. L’élément pivot et litigieux en était essentiellement ce que recouvre la notion de « réductionnisme ». Vieux thème récurrent tout au long de l’histoire des sciences, déjà présent dans l’Antiquité gréco-latine, chez Épicure et Lucrèce par exemple. En tentant d’expliquer la réalité uniquement par le comportement des particules qui la composent, la science réduit-elle « tout cela » à n’être « que cela » ? La préface d’un livre écrite parle physicien Ian Halliday était au centre de nos échanges. S’appuyant sur les grands succès de la physique nucléaire, il reprenait avec vigueur les positions les plus radicales. Selon lui, la science remplaçait tous les discours sur la nature. Elle rendait ineptes et futiles la philosophie et la métaphysique. Toute religion était, à ses yeux, aussi puérile que les histoires du Père Noël.
    Cette vision du monde me mettait mal à l’aise. Ma sensibilité à la poésie et mon intérêt pour la pensée philosophique m’empêchaient d’y adhérer. Par ailleurs, son caractère absolu et intolérant, son arrogance m’indisposaient. Pouvait-on balayer d’un seul

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