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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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kilomètres de son point de départ. Elle est endommagée et les plaques sont inutilisables. Déception ! Mais cela aussi fait partie du métier de chercheur.
    De cet événement frustrant, je tirai une leçon qui sera souvent précieuse plus tard pendant ma carrière. Il faut s’habituer aux échecs, garder confiance et recommencer aussi souvent qu’il le faut pour réussir.
    On raconte que vivaient en Perse trois frères, princes de Serendip, dont on disait qu’ils avaient l’art de « tirer parti des circonstances adverses ». On appelle aujourd’hui « sérendipité » cette faculté de première importance pour les chercheurs.

Chapitre 8
    Partir pour le Grand Nord : les aurores boréales
    À la fin de ma première année universitaire, je me suis mis à la recherche d’un « job » d’été. Histoire de gagner des « p’tits sous » et, si possible, de visiter des régions nouvelles. À l’université, un bureau centralise les offres d’emploi. Les informations nécessaires (nature du travail, salaire, lieu, etc.) y sont rassemblées dans un grand classeur. Il suffit de le feuilleter et de faire son choix. Les occasions ne manquent pas. La situation a bien changé depuis…
    Je lis : « Emploi dans l’Ungava. Nature du travail : analyse chimique du minerai de fer. Nom de la compagnie minière : Iron Ore Company of Canada. » L’Ungava est une région immense, située dans l’extrême nord du Québec. Je rêve depuis longtemps de visiter le Grand Nord canadien ! Je postule sur-le-champ à l’offre et obtiens le poste. Je vais y passer plusieurs mois et, ce qui ne gâte rien, le salaire est plus que convenable !
    Ignorant et peu intéressé par le contexte politique, je n’ai su et compris que plusieurs années plus tard dans quoi j’avais mis les pieds. J’allais en fait participer à un projet gravement préjudiciable au Québec.
    Pendant de nombreuses décennies, en fait jusqu’à la Révolution tranquille de 1960, les Québécois ont vécu sous une véritable dictature camouflée en démocratie. Le Premier ministre, Maurice Duplessis, régnait en maître sur les citoyens, y compris sur le très puissant clergé, dont il ne seprivait pas de dire : « Les évêques ! Je les fais manger dans ma main. » Quelques années auparavant, il était intervenu personnellement, et avec succès, auprès du Vatican pour neutraliser les efforts d’un archevêque en faveur des grévistes d’une mine d’amiante. Il bradait les richesses minières de la province aux concessions américaines pour financer ses campagnes électorales.
    On avait découvert un gigantesque gisement de minerai de fer dans l’Ungava. Un des plus riches du monde, en outre exploitable à ciel ouvert. Un contrat avait été signé, livrant le territoire minier à l’Iron Ore pour une période de dix ans. La société ferait construire une ligne de chemin de fer reliant la mine à la côte nord du Saint-Laurent, où des navires chargeraient le minerai vers l’Ohio. Cet investissement élevé justifia l’établissement d’un rush program (programme d’extrême urgence) pour extraire la plus grande quantité de fer possible pendant la décennie que durerait l’accord.
    Des avions-cargos militaires avaient amené d’immenses pelles excavatrices. Le travail se poursuivrait jour et nuit, de la fonte printanière des glaces aux premières giboulées de neige de l’automne.
    Je devais participer à l’analyse chimique du minerai pour en déterminer la teneur en fer, manganèse, silicium et phosphore. Le petit laboratoire où je devais travailler jouera donc un rôle décisif dans le rush program . Les résultats obtenus orienteront les bennes vers les zones les plus riches et permettront une extraction plus efficace du minerai. Je contribuerai ainsi à cette opération dont l’objet était d’épuiser la mine. Et de fait, quand le contrat arriva à échéance, il ne restait pratiquement plus de fer. Il ne subsiste aujourd’hui qu’une ville fantôme appelée Schefferville. Mais, je le répète, je n’avais alors aucune conscience politique, et quand, ultérieurement, j’ai compris tout cela, j’en ai ressenti un grand malaise.
    Dans la tempête
    Tout excité à l’idée d’aller voir le Grand Nord, je prends l’avion pour me rendre d’abord à Sept-Îles sur la côte nord du Saint-Laurent. Là, je rencontre mes futurs collègues : deux étudiants en chimie, ainsi que le chef du laboratoire, tous

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