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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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mon « niveau d’incompétence ».
    Mes notes étaient lamentables. Jamais, je le craignais, je n’accéderais à la carrière scientifique à laquelle j’avais aspiré. Les premières vacances de Noël, uniquement et vainement consacrées à tenter d’assimiler mes cours, m’avaient laissé épuisé, véritablement découragé, et soucieux…
    Mais en janvier, à la reprise des classes, la situation changea du tout au tout. Je me souviens du moment précis où, se plaçant devant le tableau noir, un nouveau professeur dont je n’oublierai jamais le nom (Abel Gauthier) a commencé son cours sur un chapitre des mathématiques appelé « séries de Fourier ». Tout me parut clair, lumineux. Les raisonnements, les équations s’alignaient dans un enchaînement d’une élégance rigoureuse et puissante, parfaitement compréhensible.
    Quel soulagement de n’avoir plus à douter ni de mes capacités intellectuelles, ni de la poursuite de ma carrière que, quelques heures plus tôt, je croyais encore compromise ! J’éprouve toujours une grande reconnaissance pour ce professeur qui dissipa en moins d’une heure les brumes opaques dans lesquelles je me désolais depuis un trimestre.
    Que s’est-il passé ? Je me suis souvent posé la question. Chacun possède son mode de fonctionnement psychique et mental. Les scientifiques les plus brillants s’avèrent quelquefois incapables d’expliquer clairement ce qu’ils ont compris. Une sorte d’intuition leur permet de former et d’utiliser des raccourcis efficaces grâce auxquels ils appréhendent rapidement l’ensemble de la situation. Cela explique, je pense, pourquoi nombre de ces chercheursgéniaux sont de piètres pédagogues. Ils ne peuvent exposer les phases successives d’un argument, eux qui n’ont pas eu besoin de tels développements détaillés pour le saisir.
    Fort de ma confiance retrouvée, j’ai pu reprendre tous les cours précédents, chercher dans les livres les modes pédagogiques qui me convenaient, ceux qui expliquent, point par point, chaque étape d’une démonstration : une avancée progressive, sans aucun raccourci. Cela m’a réussi et m’a également été ultérieurement très profitable lorsque à mon tour j’ai enseigné.
    Je suis entré dans les chapitres de la science comme on entre en de nouveaux pays dont les frontières se sont ouvertes toutes grandes. Des pays aux noms exotiques : thermodynamique, physique atomique et nucléaire, théorie quantique, théorie de la relativité. Je côtoyais avec bonheur Newton, Laplace, Maxwell, Einstein et Niels Bohr.
    Ces années-là, l’astronomie stellaire et galactique n’était pas enseignée à l’université de Montréal. La bibliothèque du département disposait de bon nombre d’ouvrages sur les planètes et les étoiles, que mes nouvelles connaissances en physique me permettaient d’aborder sans problème. Je me revois, une pile de livres dans les bras, devant le bibliothécaire. Je l’entends encore s’exclamer : « C’est la première fois que je vois ces bouquins sortir d’ici ! »
    Pierre Demers et les rayons cosmiques
    Un de nos professeurs, Pierre Demers, passionné de physique, avait l’art de rendre son enseignement vivant. Pour un examen qui avait lieu au printemps, il nous avait demandé de calculer la perturbation atmosphérique engendrée par l’arrivée des oiseaux migrateurs. Cette originalité m’avait plu… Je lui dois ma première approche de la recherche scientifique. Il poursuivait un projet d’observation d’un phénomène mystérieux : les « rayons cosmiques ». J’ai eu la chance qu’il m’invite à participer à ce programme. Les rayons cosmiques m’ont suivi tout au long de mon parcours de chercheur.
    C’est en étudiant les propriétés de l’uranium et du thorium que les physiciens ont découvert la radioactivité. Mais, problème, les instruments de mesure continuaient à détecter une faible activité, même en l’absence de ces atomes. D’où pouvait bien provenir ce rayonnement résiduel ? Et s’il était issu du sol ? Pour vérifier, on embarqua les détecteurs en ballon. Surprise : plus on montait, plus ça crépitait ! Ce rayonnement venait donc de l’espace ! D’où le nom de « rayons cosmiques ». S’il est plus faible au sol, c’est que l’atmosphère l’atténue.
    Grâce à de nombreuses observations par ballons et par satellites, le mystère s’est progressivement éclairci. Il s’agit

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