Je n'aurai pas le temps
posait mille questions sur les étoiles : leurs distances, leur vie, leur mort. La cadette, toujours plongée dans des livres de contes, voulait que je lui raconte l’histoire des personnages dont on avait pris les noms pour baptiser les constellations : Orion, Cassiopée, etc.
Le lendemain matin, je demandai à la plus jeune :
« As-tu entendu marcher le fantôme dans le grenier au-dessus de ta chambre ?
– Il y a un fantôme dans le grenier ? questionna-t-elle, très amusée.
– Oui, tu sais bien, il y en a dans toutes les vieilles maisons, et ils ne sortent que la nuit.
– Non, je n’ai rien entendu, répondit-elle. Cette nuit, jeresterai éveillée pour écouter. Mais si toi tu l’entends, tu viens me le dire. » Tout cela sur un ton mi-sérieux mi-badin, dans un contexte ludique qui lui plaisait beaucoup. Elle entrait avec plaisir dans ce jeu.
La plus âgée se mit alors à protester avec véhémence.
« Les fantômes n’existent pas, tout ça c’est des bêtises !
– Comment le sais-tu ? l’interrogeai-je. Dis seulement que tu n’en as jamais vu.
– Et je sais que je n’en verrai jamais parce que ça n’existe pas ! Arrête de raconter des histoires à ma petite sœur, tu vas lui faire peur et l’empêcher de dormir. »
J’ai senti alors que j’aurais pu m’identifier tour à tour à l’une et à l’autre.
Chapitre 9
À l’observatoire de Victoria : les étoiles doubles
U n autre job d’été m’amena à l’observatoire du Dominion (DAO), dans l’île de Vancouver, sur la côte ouest du Canada. Ayant lu la petite annonce dans une revue spécialisée, je m’empressai d’y postuler. La réponse me parvint assez rapidement : j’étais engagé.
L’année universitaire qui venait de se terminer (1953) avait été pour moi riche en découvertes scientifiques. Ce que j’avais appris avait renforcé ma grande admiration pour la puissance de l’esprit humain, si bien adapté à l’étude de la nature. Les connaissances que j’avais acquises lors de mon séjour à Agassiz prenaient une dimension nouvelle. J’étais fasciné par l’idée que l’on puisse identifier les atomes dont sont composés des astres situés à des milliers d’années-lumière simplement en mettant un prisme ou un spectroscope devant un télescope. Je trouvais fantastique l’histoire de l’astronome Fraunhofer qui, au milieu du XIX e siècle, avait établi la nature des atomes de la surface du Soleil, alors qu’au même moment le philosophe Auguste Comte affirmait que c’était chose à jamais impossible. Aujourd’hui, nous connaissons la composition chimique de notre astre de sa surface jusqu’à son centre.
L’astrophysicien anglais Fred Hoyle, un homme que j’allais retrouver à de nombreuses reprises tout au long de mon parcours scientifique, avait, quelques années auparavant, prononcé à la BBC une série de conférences intitulées« Frontiers of Astronomy », publiées dans un volume du même nom. La lecture de ce livre avait éveillé en moi un puissant intérêt pour l’étude de l’astronomie. Un souffle vigoureux traversait ces pages, qui brossaient, dans ses grandes lignes, l’état des questions cosmologiques et présentaient, en particulier, les idées novatrices que l’auteur avait lui-même apportées. Son style frondeur, rejetant nombre d’idées reçues, me plaisait. L’astronomie me paraissait trouver là un sang nouveau, qui me donnait envie d’entrer dans le débat.
La spécialité de l’observatoire du Dominion était de mesurer les déplacements des corps célestes. La technique utilisée est simple. Selon qu’elle s’éloigne ou se rapproche de nous, une source lumineuse nous apparaît relativement plus rouge (dans le premier cas) ou plus bleue (dans le second). Ce phénomène porte le nom d’effet Doppler-Fizeau, bien connu en particulier pour le son d’une sirène d’ambulance. C’est grâce à cet effet que, vers 1930, Hubble a pu découvrir l’expansion de l’Univers.
Ce procédé permettait au DAO d’obtenir bon nombre d’autres informations sur le comportement des astres. D’abord sur les étoiles dont la luminosité est variable (comme c’est le cas pour Algol, dans la constellation de Persée). Ces astres passent successivement par des maxima et des minima de lumière selon des cycles qui peuvent aller de quelques heures à quelques années. Grâce à l’effet Doppler-Fizeau, on a pu démontrer que leur volume
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