Je n'aurai pas le temps
trouvent dans l’espace était de moins 270 degrés. Je n’ai pas la moindre idée de ce que cela veut dire. » Il venait, sans s’en douter, de mesurer la chaleur du rayonnement fossile émis aux tout premiers temps de l’Univers (et dont nous parlerons abondamment plus tard).
On ne pouvait soupçonner alors l’importance qu’allait prendre cette observation dans le cadre de la théorie du Big Bang. Je me souviens de ce moment précis où, me concentrant sur son discours pour oublier les dangers que sa maladresse nous faisait courir sur la chaussée étroite, je reçus cette information si prémonitoire pour toute la cosmologie contemporaine.
Fred Hoyle : l’enfant terrible de l’astronomie
Plusieurs fois par semaine, des conférences sont données par des chercheurs de l’observatoire ou par des invitésprestigieux. C’est ainsi qu’après avoir dévoré ses livres, j’ai enfin pu voir Fred Hoyle. Déception : c’est un homme sec, distant, sans charisme. L’opposé de ce que, dans ma naïveté, j’avais imaginé de lui. D’autres éléments me déplaisent : une superbe frôlant l’arrogance, un mépris exprimé pour ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui. Néanmoins, je découvre pendant ses séminaires des éléments de sa personnalité qui m’attirent : sa puissance intellectuelle, une articulation de la pensée frisant le génie, un regard perçant et critique, une imagination pénétrante, une grande indépendance par rapport aux idées à la mode, une délectation intense à les renverser.
À cette période, Fred Hoyle est considéré comme l’enfant terrible, « l’affreux jojo » de l’astronomie. Ses apports sont nombreux. C’est lui qui a émis l’idée que les étoiles sont le lieu où les atomes se forment : un sujet qui occupera une bonne partie de ma carrière de chercheur. Opposant farouche à la théorie du Big Bang – il le restera toute sa vie –, il est l’un des promoteurs d’une hypothèse contestataire, « la création continue », encore appelée « théorie de l’état stationnaire », niant qu’il y ait eu un début à l’Univers. Il dérange et agace profondément la communauté scientifique assemblée pour l’entendre. Je suis avec attention les longs et houleux débats qui suivent ses séminaires, même si, à vrai dire, souvent je n’y comprends pas grand-chose…
Longues houles roses sur le Pacifique
Victoria est une ville tranquille, très anglaise, au bord du Pacifique. « More British than Britain itself » (« Plus anglaise que l’Angleterre ») aiment à répéter ses habitants qui, tous les soirs, mains gantées et armés de cisailles, vont travailler dans leurs jardins. Les rosiers chargés de fleurs débordent sur les trottoirs, régulièrement mouillés par les tourniquets des arroseurs automatiques. C’est pourtant làqu’émergea ce qui fut l’objet d’un long drame intérieur, qui couvait en moi depuis longtemps.
Le soir, en revenant du travail, je traverse la ville à bicyclette pour aller au Beacon Hill Park voir le coucher du soleil sur la mer. Là, je m’assois sur un rocher et je reste longtemps à admirer le panorama. Les longues houles qui viennent lentement vers la côte reflètent tour à tour, et selon leur angle, les roses intenses des nuages illuminés par le couchant. Au fond, on aperçoit les hautes montagnes enneigées de l’autre côté du détroit Juan de Fuca. D’abord scintillants de blancheur, leurs sommets se teintent progressivement d’orange pourpré et de rouge.
Et c’est là que le choc s’est produit. Tout au plaisir de ce spectacle sublime, une petite voix insistante, presque moqueuse, se met à me répéter insidieusement : « C’est de la physique, rien de plus ! La théorie électromagnétique de la lumière explique chaque reflet coloré, chaque ton subtil. C’est tout simplement la longueur d’onde des photons absorbés et réémis qui a changé. Ce n’est que cela, rien d’autre, c’est tout ! » Ce discours réductionniste sape maintenant ma contemplation et mon bonheur !
Je reprends ici quelques paragraphes de mon livre Malicorne dans lesquels j’ai raconté cet épisode :
« Dans ma tête, c’est la panique. La crainte de voir se désintégrer le plaisir exquis qui me possède. Dois-je y renoncer à tout prix, maintenant que j’ai regardé par-dessus la clôture et goûté au fruit empoisonné de la connaissance ? Autant ce sacrifice cruel me
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