Je n'aurai pas le temps
en décrivant des orbites stables. Certaines les parcourent en quelques jours, d’autres en quelques siècles.
On mesure la vitesse de chacun des deux partenaires tout au long de leur révolution. Un calcul long et fastidieux permet alors d’estimer leur masse respective, ainsi que la distance qui les sépare. Les opérations se font avec des machines à calculer manuelles ; pas encore d’ordinateurs… Le matin, j’ai du mal à détendre mes poignets engourdis par les tours de manivelle. Mais j’ai ainsi déterminé plusieurs dizaines d’orbites stellaires.
Je touche alors de près à un aspect peu excitant et pourtant fondamental de la recherche. Tout l’édifice de la science est basé sur des mesures précises effectuées avec la patience d’un moine médiéval. Le cas classique est celui de Kepler, savant allemand du XVII e siècle. On croyait alors que les planètes décrivaient des orbites circulaires car le ciel, affirmait-on depuis Aristote, ne pouvait abriter que des formes géométriques parfaites : des cercles. Ayant entrepris d’évaluer avec une grande précision la position des planètes tout au long de leurs périples, Kepler constate que leurs trajectoires ne sont pas exactement circulaires mais légèrement elliptiques. L’écart est faible et ne peut se détecter qu’avec des observations extrêmement méticuleuses, mais il est indubitable. Cette découverte inattendue provoque des débats passionnés. Est-ce bien la peine, argumentent ses contemporains, de se donner tant de mal pour mettre en évidence une différence aussi minime ? Quelle importance ?
Elle s’avère cependant immense. Non seulement cettedifférence remet en cause l’idée de la perfection des formes sidérales, tenue pour absolument certaine depuis deux mille ans, mais elle contribuera grandement à l’établissement de la loi de la gravitation universelle énoncée quelques dizaines d’années plus tard par Isaac Newton. Vue sous un angle plus vaste encore, elle accréditera l’idée que les astres sont soumis aux mêmes lois que les objets terrestres, donnant ainsi naissance à l’astrophysique.
Un épisode semblable a récemment eu lieu avec le satellite Hipparcos. Sa mission était d’évaluer la position de plus de 100 000 étoiles avec une précision jamais atteinte auparavant. Les résultats ont eu un impact majeur sur nos connaissances, notamment sur la question de l’âge de l’Univers. Une difficulté était en effet apparue lorsqu’on le comparait à celui des astres les plus anciens. Certains amas stellaires semblaient être nés avant le Big Bang ! Situation critique, qui pouvait remettre en cause toute la théorie ! En rendant possible une meilleure estimation de l’âge du cosmos et des étoiles, les éléments transmis par Hipparcos ont permis de rétablir la situation : l’Univers est effectivement plus âgé que les plus vieilles étoiles. Quel soulagement !
Pareillement, la détermination de la masse des astres est une étape indispensable à l’élaboration de nos théories sur leur naissance, leur vie et leur mort. En ce sens, cette étude des étoiles doubles à laquelle je passe mes nuits est une composante importante de la recherche stellaire. Réflexion que je m’efforce à répéter : elle m’aide à persévérer durant ces longues heures de calculs qui commencent à me peser. Car je me sens un peu loin de mes questionnements scientifiques. Aussi je profite de tous mes moments libres pour interroger les chercheurs sur leurs sujets de préoccupation.
Andrew McKellar et le rayonnement fossile
Mon patron, Andrew McKellar, est convivial, sympathique, passionné, mais aussi d’une nature distraite. Le soir, il me ramène parfois de l’observatoire à la ville de Victoria où j’habite. Pendant le trajet, il m’entretient de ses travaux et des sujets qui le passionnent. Mais il parle en gesticulant beaucoup et sa conduite assez maladroite m’inquiète, surtout lorsque nous empruntons la route sinueuse bordée de ravins qui nous mène à la vallée. Mon attention en est passablement perturbée et j’attends que nous soyons arrivés en plaine pour lui poser mes questions.
Un jour, en montagne, il évoque une observation qu’il avait effectuée quelques années auparavant. En étudiant la lumière émise par des nébuleuses interstellaires, il avait obtenu un résultat inattendu. « Tout se passe, raconte-t-il, comme si la température des atomes qui se
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