Je n'aurai pas le temps
beaucoup de vols dans ces hôtels et l’État veille à la sécurité de ses hôtes » ? Même rituel à chaque palier. Au quatrième, je dois de nouveau présenter mes documents qui seront scrupuleusement vérifiés par les trois préposées (il n’y a plus de chômage en Russie…). Je peux enfin entrer dans ma chambre ! Un brin parano, je l’inspecte de fond en comble, à la recherche d’éventuels micros cachés !
Il est déjà 7 heures du soir et j’ai faim. La documentation de l’hôtel fait mention d’un restaurant « de réputation internationale » au dernier étage. Je m’y rends par l’escalier. Je pénètre dans une grande salle, richement décorée de tentures et de tapisseries anciennes, éclairée par de volumineux lustres de verroterie.
La plupart des tables sont occupées par des groupes qui mangent en silence. J’en repère une qui est libre et m’y installe. Une porte claque bruyamment derrière mon dos. Un imposant derrière apparaît : une dame chargée d’un lourd plateau d’assiettes et de bouteilles. Personne ne s’occupe de moi. J’essaie d’attirer l’attention des serveuses. Elles m’ignorent. Je m’enhardis et élève la voix. En vain. Je me lève. Sans résultat. Je me démène, invente de grands gestes accompagnés de « Hello » répétés. Suis-je invisible ?
C’est alors qu’un homme, plutôt costaud, installé devant une bouteille de vodka, m’interpelle en anglais : « Venez donc vous asseoir à ma table. Si vous restez à celle-ci, vous ne serez jamais servi !
– Pourquoi ?
– Cette table ne “travaille” pas ce soir ! »
Je le regarde, intrigué. « Que dites-vous ?
– Vous voyez ce petit drapeau au centre de la mienne ? La vôtre n’en a pas. » Évidemment, c’est clair. Mais comment aurais-je pu le deviner ?
J’accepte son invitation et prends place en face de lui. Il m’offre de la vodka dans un grand verre. Affamé comme je le suis, je crains l’effet de l’alcool. Je n’en avale que quelques gorgées et la tête me tourne déjà. Lui a vidé la moitié de la bouteille et ne semble pas ivre ! J’ai l’impression de me trouver dans un roman de Dostoïevski !
« Where are you from ? » me demande-t-il d’une voix profonde, bien russe dans sa façon d’accentuer lourdement les syllabes sonores.
« Du Canada ! »
Et le voilà pris d’une intense hilarité, « Ah, ah ! ah ! », tapant du poing sur la table : « It’s impossible, my friend. You cannot be from Canada !
– Why ?
– Hier, j’ai vu à la télé un match de hockey qui opposait le Canada à notre pays. Les Canadiens sont grands et larges comme des portes. »
Fort satisfait de lui-même, il se répète plusieurs fois tout en s’esclaffant, dans une sorte de délire éthylique. La vodka a finalement produit son effet ! Je lui indique que je suis affamé et que j’aimerais manger quelque chose. Il se lève et va chercher un menu. C’est un grand cahier de plusieurs dizaines de pages, relié en cuir repoussé, doré sur tranche, enrichi d’enluminures. Sur un papier de qualité, les plats sont énumérés et décrits dans un style ampoulé, en quatre langues : russe, anglais, français et – nous sommes à l’hôtel Budapest ! – en hongrois.
Me voilà bien dans l’embarras. Que commander : tournedos ? côtelettes d’agneau ? saumon grillé accommodé à diverses sauces ? Le menu se lit comme une ode à la gastronomie. J’hésite entre trois plats particulièrement appétissants, puis j’arrête mon choix. Mon compagnon appelle la serveuse et je lui désigne les mets choisis sur la carte. Elle se penche, ajuste ses lunettes et, après un long moment, d’une voix lourde et fatiguée, déclare : « Niet » (prononcer : niiiééétte ). Je tourne les pages et indique mon deuxième choix. Même scénario : « Niet. » Idem pour mon troisième choix : toujours niet . Je prie mon compagnon de lui demander ce qu’il y a. « Hungarian goulash. » J’aurais dû y penser : nous sommes à l’hôtel Budapest ! La serveuse prend ma commande sur un carnet et repart vers la cuisine. Je profite de l’occasion pour tenter de me renseigner sur la vie quotidienne en Russie et questionne mon compagnon. Que fait-il ? Il est ingénieur. C’est fou le nombre d’ingénieurs que je rencontrerai durant ma visite en URSS ! En URSS, tout le monde est ingénieur de quelque chose. Lui, c’est en informatique.
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