Je n'aurai pas le temps
du métro de Leningrad et de Moscou. Elles vont, viennent, s’approchent de moi puis s’éloignent vers la sortie, comme si elles avaient vainement cherché quelqu’un. Espoir puis déception : j’aurais volontiers parlé à quelqu’un.
Mais soudain, elles font demi-tour et reviennent vers ma table : « Ne seriez-vous pas le professeur Reeves ? » Bonheur. « Nous étions ici hier soir pour vous accueillir, dit l’une d’elles avec un grand sourire, mais on nous a annoncé que votre avion était resté bloqué à Helsinki, alors nous sommes reparties. Je m’appelle Svetlana. Je regrette de ne pas parler mieux l’anglais. J’aimerais tellement vous dire combien nous sommes heureuses de vous recevoir. » Je leur propose alors de s’asseoir à ma table. Nous passons un long moment à deviser agréablement. Pour moi tout est changé. Disparues les impressions désagréables laissées par le consulat, les fatigues du voyage, la nuit en cellule, l’agression radiophonique matinale. Je n’entends plus le vacarme de la vaisselle sale que l’on ramasse, je ne sens plus l’odeur des toasts brûlés. Cet accueil chaleureux me ravit.
Tout à coup, surgit devant nous une dame en uniforme de police qui s’adresse avec véhémence à mes compagnes. Svetlana traduit : « Elles ont trouvé le fil du poste de radio arraché dans votre chambre. » Je raconte l’histoire. La discussion s’anime. Des collègues la rejoignent bientôt et un groupe se forme autour de nous. Tout cela provoque beaucoup d’agitation. Puis soudain, le calme. La maréchaussée locale se disperse. « Il a suffi de leur dire que vous êtes invité par l’Académie des sciences », explique Svetlana. Elle ajoute : « Vous allez maintenant pouvoir partir pour Moscou. Mais lorsque vous reviendrez à Leningrad, nous vous recevrons à notre observatoire de Pulkovo. Nous vous avons organisé des visites au musée de l’Ermitage et des excursions dans la campagne. »
Chapitre 15
Moscou : rêver de Samarcande
C’ est à Moscou que j’ai mon premier contact avec l’Intourist. Cette institution soviétique qui gère les voyages des étrangers est représentée par une grande femme en uniforme, cheveux courts et sourire figé sur une large bouche. Elle me conduit dans un petit bureau où trône une machine à écrire vétuste, que j’imagine semblable à celle utilisée pour ma lettre d’invitation. Elle me propose un café et prononce des mots dont je pressens qu’ils sont officiels et sans doute les mêmes pour chaque visiteur. « Au nom de notre Union soviétique, et en particulier de notre Académie des sciences, je vous souhaite la bienvenue dans notre grand pays socialiste. » À maintes reprises pendant mon séjour, je noterai l’importance, feinte ou réelle, donnée à ces « nous » et à ces « notre ». Peut-être à cause de la si grande diversité des peuples de l’URSS, ces mots semblent utilisés pour faire croire à une véritable solidarité, à un sentiment commun d’appartenance. L’éclatement ethnique qui suivit le démantèlement de l’Union soviétique en 1989 tendrait à démontrer la raison de cette volonté artificiellement entretenue d’être une « union à tout prix ».
« Nous sommes heureux de vous montrer les très grands progrès que le communisme a fait réaliser à notre pays. Il n’y a plus de chômage. L’alcoolisme qui a si longtemps sapé les forces vives de la population a été éradiqué. Nous vous serions très reconnaissants si vous pouviez le faire savoir. Vous nous aideriez ainsi à changer l’image négativeque les États-Unis veulent donner de notre idéologie. Ils nous font passer pour des monstres guerriers, mais nous ne souhaitons qu’une seule chose : la paix.
« À présent, il faut établir le programme de votre séjour. Notre pays est immense, et tout doit être planifié. Pourriez-vous dresser la liste des instituts et des laboratoires que vous aimeriez visiter ? »
Je n’en reviens pas ! Elle me remet un formulaire sur lequel il me suffit d’écrire le nom des scientifiques que je souhaite rencontrer. Depuis le début de ma carrière, j’ai établi bon nombre de contacts avec des scientifiques de l’URSS et je n’ai aucune peine à inscrire une liste de chercheurs, tant à Moscou qu’à Leningrad, à Simpheropol en Crimée, ou encore à Burakan en Arménie. Cela ne représente pourtant qu’une petite partie du territoire que je
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