Je n'aurai pas le temps
Dès ce frugal repas achevé, je me plonge dans mon dictionnaire français-russe. Inutile de préciser que, dans de telles conditions, les progrès sont rapides.
Chapitre 16
À Erevan, en Arménie
L e lendemain, à l’aéroport, en partance pour Erevan, une foule compacte de voyageurs est massée devant le comptoir. Les valises, manifestement fatiguées, sont entourées de grosses ficelles et semblent avoir été hâtivement bouclées. Les nombreux paniers en osier, ajourés comme ceux qui permettent le transport d’animaux vivants, sont vides. D’ailleurs, il n’en sort aucun bruit ! Nouvelle bizarrerie qui devra trouver sa réponse : pourquoi ces paniers vides ? Une fois à bord, leurs propriétaires les entasseront dans les compartiments à bagages, au-dessus des sièges, et parfois sur leurs genoux.
Confronté à ces situations inhabituelles, mon attention est toujours en éveil et j’enregistre chaque fait, chaque événement insolite, en me promettant d’en trouver l’explication. Ce fut une attitude constante durant tout mon stage en URSS.
Impossible pour moi de lire plus de dix minutes dans un appareil soviétique. Sans doute intrigué par mon aspect vestimentaire, quelqu’un ne tarde jamais à m’aborder avec l’inévitable question « Where are you from ? ».
Aussitôt le mot « Canada » prononcé, on me souhaite la bienvenue et la conversation s’engage. En général sur la vie en Amérique (de chez eux, le Canada et les États-Unis se confondent !). D’autres personnes s’approchent bientôt, d’autres encore se penchent sur le dossier de leur siège et, en peu de temps, un petit groupe de curieux se forme.Certains se chargent de la traduction russe-anglais des questions et des réponses. Il n’est pas rare que l’on me demande : « Pourquoi nous détestez-vous tellement ? Nous voulons vivre en paix avec vous ! Savez-vous qu’en russe le mot mir veut dire à la fois “monde” et “paix” ? » (Combien de fois ne m’a-t-on pas servi cette histoire !) Tout cela crée une ambiance finalement assez sympathique et chaleureuse. Il arrive parfois que même le pilote vienne faire un tour !
À l’aéroport d’Erevan, je remarque un groupe d’hommes qui semblent m’attendre. L’un d’entre eux s’approche de moi, souriant. « Nous venons de l’université d’Erevan et nous sommes très heureux de vous accueillir. Nous espérons que votre séjour sera des plus agréables. Soyez en tout cas assuré que nous allons nous y employer. » Les autres le rejoignent et, chacun me tendant la main tour à tour, m’adresse des paroles de bienvenue.
Dans le hall de l’hôtel Erevan où je suis logé, nous poursuivons la conversation, tous assis autour d’une table. Chacun m’explique le sujet de ses recherches et m’invite à venir dans son laboratoire discuter avec ses collègues. L’une des vertus du métier de scientifique est qu’il ne manque pas de sujets qui facilitent le contact et fournissent une excellente entrée en matière pour faire connaissance.
L’un des chercheurs me dit : « Nous avons établi à votre intention un programme alternant conférences et excursions pour vous faire découvrir notre beau pays. Aujourd’hui dimanche, nous visiterons Erevan. Demain, nous irons à Etchmiadzine, le Vatican des Arméniens. Mardi, nous passerons la journée à l’université, dans nos laboratoires. Mercredi, nous irons dans les montagnes du Caucase voir les monastères du V e siècle. Jeudi, nous irons à notre observatoire astronomique de Burakan où notre Grand Académicien, Ambartsumian, vous attend. Puis nous reviendrons à l’université rencontrer d’autres physiciens. Dimanche, vous prendrez l’avion pour Moscou.
Je fais aussitôt remarquer que l’agenda prévoit cinq jours en Arménie et non sept. « Impossible, m’objecte-t-on, il n’y a qu’un avion hebdomadaire pour Moscou et c’est le dimanche. Nous aurons donc le plaisir de vous garder avec nous une semaine entière ! » Que dire ? Mais là encore je note intérieurement : « Information à vérifier ! »
À l’hôtel, le service est bon et le personnel agréable. Commence alors pour moi une plongée dans le cumin, que je n’oublierai pas de sitôt. Non seulement les plats en sont fortement assaisonnés, mais j’en retrouve l’odeur partout. L’utilise-t-on ici comme antimite dans les armoires ? Je n’ai pas pu vérifier ! Toujours est-il que les draps sont
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