Je n'aurai pas le temps
désarçonné par cette remise en cause de ses certitudes. Manifestement, ses longues études scientifiques n’avaient pas réussi à créer en lui une place pour le doute.
Aussi important que l’enseignement de la science, il y a aussi celui de la méthode scientifique. Trop souvent, les principes, les lois sont érigés en réalités objectives, absolues et indiscutables. Il faut accorder le plus grand soin à l’apprentissage de l’esprit critique, du doute et amener les étudiants à se poser des questions : « D’où cette affirmation vient-elle ? » « Pour quelles raisons devrais-je l’accepter ? » « Quelles sont les preuves en faveur de sa véracité ? »
Ainsi, à la question récurrente : « Le modèle du Big Bang est-il une vérité absolue ou seulement le produit de l’imagination fertile des chercheurs ? », la réponse est : « Ni l’un ni l’autre, il y a toute une gamme de possibilités intermédiaires. » À chaque théorie est associé un degré de crédibilité plus ou moins élevé, selon la valeur des arguments qui la corroborent. Certaines sont établies par un ensemble d’observations et de prévisions maintes fois confirmées. D’autres, pour lesquelles des objections valables persistent qui incitent à la prudence, sont encore hypothétiques et doivent être confirmées. En outre, une théorie n’est jamais définitive : elle se rapporte à une situation et à un moment donnés. De nouveaux résultats peuvent la remettre en cause, et elle pourrait bien rétrograder sérieusement dans l’échelle des certitudes.
Cette situation de précarité interdit de parler de « vérités absolues ». En même temps, elle confère à la science la souplesse qui en fait sa force et sa fiabilité. Elle stimule sa puissance d’investigation du monde réel, aux antipodes des idéologies figées.
Questions d’origine
Pourtant, comme tout un chacun, le chercheur a ses convictions et ses préjugés, qui l’amèneront à s’intéresser plus volontiers aux faits qui abondent dans son sens. Spontanément, il choisira d’aller pêcher dans les eaux où viventles poissons qu’il préfère ! L’antidote à cette attitude et aux dangers qu’elle comporte consiste à développer vis-à-vis de soi-même quelque lucidité. « Qu’ai-je investi, affectivement, dans la vérification de l’hypothèse que je propose ? Comment vivrais-je le fait qu’elle soit démontrée fausse ? »
Cette lucidité s’impose particulièrement dans les domaines qui touchent aux origines. De l’Univers, de la vie, de l’être humain. Les interrogations ici dépassent largement le cadre de la science. Elles touchent à la philosophie, et les réponses peuvent influencer les comportements. Lorsque Copernic et Galilée découvrent que la Terre tourne autour du Soleil (et non l’inverse), cela a eu des répercussions considérables. Freud parlait du « choc astronomique ». La Terre n’est plus le centre de l’Univers. L’homme prend soudainement conscience de l’immensité du cosmos et de son isolement sur cette petite planète. La théorie de l’évolution biologique élaborée par Charles Darwin a déclenché une révolution similaire. Toujours selon Freud, ce fut le « choc biologique ». Nos ancêtres ne sont plus des dieux mais des singes et, plus loin encore dans le passé, de modestes cellules microscopiques. De même, Freud lui-même provoqua le « choc psychanalytique » lorsqu’il découvrit l’inconscient : l’être humain n’est pas le seul maître à bord de son navire ; un capitaine mutin, l’inconscient, prend souvent la barre. Aussi n’est-il pas étonnant de constater à quel point de telles idées novatrices peuvent susciter des prises de position catégoriques chez leurs détracteurs comme chez leurs défenseurs. Les débats sont l’occasion d’assertions grandiloquentes et les anathèmes sont jetés sans retenue. On se sent loin de la sérénité requise pour la fertilité des discussions.
Du bon usage de la science
Des imams musulmans demandent un jour à me rencontrer pour parler de cosmologie. Je les invite chez moi.Trois hommes se présentent, grands, barbus, dignes. « Merci de nous recevoir », dit l’un d’un ton quasi solennel. « Voici ce qui nous amène. » Il me tend un grand livre recouvert de maroquinerie. C’est le Coran. « Plusieurs de nos confrères scientifiques ont entrepris de relire le Coran à la lumière des
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