Je n'aurai pas le temps

connaissances contemporaines. Selon eux, ces écrits sacrés contiennent en substance quelques-unes des avancées les plus importantes de la science moderne, aussi bien en astronomie (la théorie du Big Bang) qu’en biologie. Nous avons rassemblé ici les documents sur lesquels nos confrères ont établi leur démonstration. Nous voudrions vous les montrer. » Je regarde avec eux chacune des citations du Coran et les commentaires qui prouveraient la validité de leur thèse. Je ne trouve là rien de très convaincant. Je leur dis franchement : « Désolé, je ne peux pas cautionner les allégations de vos confrères. » Et j’ajoute : « J’ai une question pour vous maintenant. Mahomet est une grande figure humaine, un grand religieux. Pourquoi tenez-vous à ce qu’il soit aussi un grand scientifique ?
    – On va vous expliquer. En politique, nous sommes des partisans d’un État religieux. Si nous pouvions prouver que Mahomet, il y a 1400 ans, avait eu une révélation divine des acquis de la science moderne, nous aurions un argument puissant de plus en faveur de notre option. C’est pourquoi nous voulions votre caution.
    – Je vous l’ai dit, je ne peux pas vous la donner. Excusez-moi…
    – Pas de problème. Nous vous remercions de nous avoir accordé votre temps. Dans notre religion musulmane, nous avons un grand respect pour les intellectuels. Nous vous offrons cet exemplaire du Coran. »
    Nous nous sommes quittés bons amis. Pour moi, cette rencontre avait été profitable. Je venais d’entrevoir comment la science peut être utilisée à des fins politiques et religieuses.

    Pertinences et limites du doute
    J’ai parmi mes amis un homme extrêmement créatif aux talents multiples : sculpture, peinture, littérature. Dans chaque domaine, ses œuvres sont remarquables. Vibrant de vitalité, il travaille avec une fougue et une énergie peu communes. Son art et sa vie se confondent. Des scénarios inspirés de textes ésotériques l’habitent en permanence. Il se plonge avec délectation dans la lecture des grands mythes de l’humanité et il fait de ces ouvrages sa nourriture intellectuelle quotidienne.
    Un jour, il m’a demandé mon avis sur l’astrologie. Je sais que mon opinion compte beaucoup pour lui. Dilemme. Lui avouer ma perplexité et mes réticences pourrait avoir une influence négative sur sa créativité. Pourquoi instaurer dans son esprit un doute qui pourrait être potentiellement stérilisant ? J’ai répondu d’une façon vague, volontairement ambiguë…
    Prendre conscience de la diversité des mentalités et des esprits, admettre les fonctionnements personnels, voilà l’important. À chaque discours humain, qu’il soit scientifique, philosophique ou religieux, s’associe une tendance à voir « midi à sa porte ». Paraphrasant Nietzsche, on peut dire que « ce qui importe, ce n’est pas tellement ce qui est “vrai” mais plutôt ce qui “aide à vivre pleinement” ». Ce qui est bon pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Il n’y a pas de règle générale. Chacun cherche pour soi ce qui donne un sens à sa vie. Dans le cas de cet artiste, les grandes images mythiques sont les sources profondes et les ferments de sa créativité.

    Le principe de précaution
    L’application du doute doit s’adapter aux implications du contexte. Distinguons deux situations différentes.
    Des astronomes affirment avoir découvert un nouveau satellite autour de Jupiter. Je reste sceptique, attendant que cette information soit confirmée ou infirmée. Il n’y a pas de problèmes quant au fait que je réserve mon jugement jusqu’à plus amples informations.
    Deuxième cas : je sens une odeur de fumée chez moi. Si j’attends d’avoir la preuve que ma maison flambe avant de réagir, je risque de le faire trop tard.
    Cette distinction est cruciale dans le domaine de l’environnement. Certaines personnes contestent encore l’influence de l’industrie sur le réchauffement climatique, arguant qu’il y a toujours place pour le doute. Sans être parfaitement concluantes (les preuves scientifiques ne le sont jamais), les présomptions en faveur de cette affirmation sont suffisamment solides pour que, étant donné le contexte et ses implications, il soit nécessaire de réagir le plus vite possible, au risque d’arriver trop tard.
    Le principe de précaution s’applique aux situations où, sans avoir des preuves définitives, il y a des raisons de se