Je Suis à L'Est !
jâai croisé une personne qui travaille en institut médico-éducatif (IME). Je lui ai posé une question un peu directe et provocatrice, je lâavoue : est-ce que, à son avis, il était bon que des enfants avec autisme se trouvent dans son IME ? Quel argument pouvait-elle donner pour quâun parent dâenfant avec autisme y place son enfant ? Elle mâa répondu en avançant deux arguments. Premier argument : en IME, le cadre est beaucoup plus adapté à un enfant avec autisme quâune école normale. Deuxième argument : lâenfant avec autisme est moins confronté à lâaltérité des enfants non autistes qui sont dans une école ordinaire. Je mâattendais à ce type de réponse et je lui ai dit, de manière peut-être un peu méchante, que, en fait, le handicap de lâenfant avec autisme, ce sont les particularités des enfants non autistes. Il y a eu un moment de silence⦠Il est vrai que, dit aussi brutalement, cela est assez faux parce que trop caricatural, mais je crois bien que lâaffirmation reste dans le vrai malgré tout. Lâenfant avec autisme est placé en IME, non pas du fait dâune supposée déficience qui lui serait propre, par exemple microprocesseur très lent ou inapte à exécuter la plupart des tâches, mais simplement parce que les autres microprocesseurs ont un mode de fonctionnement qui est le leur et il vaut mieux que les deux soient séparés, quâil nây ait pas de contact trop étroit entre les deux. Cette raison, ce soubassement social, est traduite de manière médicale, et on dit : parce que lâenfant a un syndrome dâAsperger, un trouble envahissant du développement (TED), ou que sais-je, cela justifie tel ou tel comportement social à lâégard de lâenfant ou de lâadulte.
Ces gloses peuvent passer, lors dâune causerie amicale autour dâun thé ; en situation, en présence de parents dâun enfant avec autisme face à une autorité, quâelle soit médicale, scolaire ou autre, on ne peut plus avoir ce dialogue déconstructiviste, si jâose utiliser un terme à la mode. On est tenu de se conformer à un ensemble dâinjonctions qui sont plus ou moins sous-entendues, mais dâautant plus brutes et dures. Avec toujours cette tentative dâessentialiser et de ramener tout à lâenfant avec autisme : câest lui qui est autiste, et donc du fait de son autisme il faut faire ceci ou cela.
Le patient, la souffrance et son sauveur
Quand on marche dans les grandes villes occidentales, on est parfois abordé par un sympathique drôle de personnage qui nous propose de passer le fameux test dâOxford â un test quelconque qui nâa naturellement aucun lien avec lâuniversité dâOxford. On le remplit, puis le monsieur ou la dame, fort courtois, nous invitent à une séance gratuite pour analyser le résultat. Dans un bureau, une autre personne dit sur un ton empathique et apitoyé : Ah ! mais vous avez tant souffert dans votre vie ! Comment est-ce que vous avez fait pour tenir ? Je vous admire. Vous ne pouvez pas rester tout seul ou toute seule dans votre souffrance, nous pouvons vous aider, nous pouvons vous proposer quelques lectures⦠Peu de temps après, vous vous retrouvez avec des livres de « Ron », comme on le surnomme affectueusement, entre les mains, et votre compte bancaire entre celles de lâÃglise de scientologie.
Lâexemple est assurément brutal. Inadapté, dira-t-on. Il illustre je crois lâimportance de la souffrance dans notre société, et lâaisance avec laquelle on peut faire usage de celle dâautrui pour en faire un exécutant de nâimporte quel dessein. Dans le monde de lâautisme, plusieurs ont ainsi fait carrière, et soutiré de fortes sommes à des personnes en souffrance. Dans le domaine du handicap, en général, beaucoup dâassociations se battent pour que lâon cesse de mettre en lien handicap et solidarité : lâapproche caritative, si elle est plaisante vue de lâextérieur et même si elle est accomplie par une personne désintéressée, ce qui est loin dâêtre systématiquement le cas, ne mène que rarement à des solutions constructives. Hélas, le petit monde de
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