Je Suis à L'Est !
sitôt. Je ne peux le prouver, mais je suis prêt à parier une tablette de chocolat.
Lâanormal et le rire
Je crois quâil y a un lien profond entre la présence, au moins virtuelle, de lâanormal, le rire et lâidentité personnelle ou de groupe. Les travaux de Bergson sur le rire, grossièrement simplifiés, montreraient quâil se déclenche en cas de relâchement dâune contrainte sociale.
Je suis assez intrigué par le fait que chaque fois que lâon évoque la folie de manière tant soit peu plaisante, les gens commencent à rire, ou du moins se retiennent pour les plus sérieux, qui souhaitent préserver leur réputation dâhumanistes incapables de rire du malheur supposé dâautrui. La présence du fou, ou de lâanormal, agit donc à deux niveaux : dâune part elle déclenche le rire, et dâautre part elle recrée un sentiment dâidentité individuelle et de groupe.
Il est assez intéressant de comparer les anciennes affiches des cirques humains, où on vantait lâapparition au cours du spectacle de personnages tels que lâhomme-tronc, la femme-girafe, le musicien sans bras, lâhomme-éléphant, les frères siamois, et lâeffet quâelles induisent encore maintenant, à celui que produit lâintervention dâun autiste sur scène lors dâun colloque.
Cela étant, contrairement à mes illustres prédécesseurs et collègues humoristes des cirques humains, je ne peux faire tomber les masques, physiques ou scéniques, à la fin du numéro. Il sâagit de colloques, il faut faire semblant dâêtre sérieux jusquâau bout. Assumer un rôle, sans même ces quelques secondes finales pour le rejeter et avoir droit à une reconnaissance de normalité, est redoutable.
Dans son film Le Dictateur , Chaplin tient des discours ridicules. Le plus inquiétant, ou le plus amusant du point de vue du spectateur, est que la foule le prenne au sérieux, alors que lui est obligé de jouer ce rôle. Le seul avantage de Chaplin est que tout le monde associe son nom à un humoriste. Si on avait renommé son personnage en « Sixte-Henri de Clausonne, professeur au Collège de France », il est fort possible que, même maintenant, les gens le prendraient très au sérieux et se vanteraient dâavoir compris son discours-charabia. Le canular Sokal lâa montré jusquâà lâabsurde. En est-il de même quand on présente un bouffon sous le titre dâancien élève de Sciences Po et docteur en philosophie ? Je le crains. Nous en reparlerons.
Lâanomalie, la maladie, le handicap et la folie
En bref, cette anomalie qui échappe un peu aux grilles, à lâimage du Tao, comment la cerner malgré tout ? Je suis bien gêné. Je ne sais pas quel est le bon terme à utiliser, sous quelle rubrique il faudrait classer lâautisme.
Des autorités mâont expliqué quâil ne fallait pas utiliser le terme de « maladie », et je ne lâutilise pas en général. Ce mot heurte les sensibilités, suscite des réactions parfois violentes. Il repose aussi sur un postulat problématique, à savoir que lâautisme en tant que maladie serait une source de souffrance étrangère à lâêtre que le thérapeute éliminerait pour lui rendre sa plénitude. Cela étant, je dois reconnaître que, peut-être du fait des travers induits par mon éducation bilingue qui relativise le sens des mots, parler de maladie, si on sâentendait sur son sens, ne me gênerait pas en soi.
Un deuxième terme fréquent est celui de « handicap ». Je lâutilise souvent, et beaucoup mâont incité à le faire. Dâautres personnes, avec des arguments valables, mâont montré en quoi il valait mieux lâéviter. Le terme de handicap a, à mes yeux, deux avantages : il permet dâune part dâévoluer au sein dâune galaxie de personnes ayant des profils après tout assez proches â lâautisme, la surdité et la cécité sont des choses fort distinctes, et pourtant, lors des réunions, autistes, sourds et aveugles gagnent à être assis à la même table, à profiter des outils techniques destinés à lâautre handicap, et à faire lien social
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