Je Suis à L'Est !
malgré ou grâce à leur situation dâexclus relatifs. Dâautre part, le handicap est peut-être lâunique biais par lequel lâAdministration peut reconnaître lâautisme et appliquer des droits qui restent hélas trop souvent théoriques.
Cela étant, le handicap nâoffre pas une grille de lecture parfaitement adaptée à lâautisme. En apparence, elle est une vision extrêmement humaniste : lâêtre humain, handicapé ou non, est identique en dignité. En ajoutant des outils de compensation, la personne handicapée peut acquérir la même valeur et la même efficacité que la personne non handicapée. En cela, rien de plus noble. Mais lâapplication est plus complexe dans le cas de lâautisme. Pour le dire avec une image : si un ordinateur est déficient, on peut le « mettre à niveau » en ajoutant des imprimantes, des périphériques sophistiqués, etc. Mais que faire si malgré tout il est dysfonctionnel ? Si lâajout dâune, de deux, de trois imprimantes, dâune couverture de cuir sur lâunité centrale, ne font toujours pas tourner le microprocesseur comme la norme lâexige ? Dans le cas dâune personne avec autisme, supposons, rêvons, quâune Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) parfaite mette à disposition toutes sortes dâoutils de compensation du handicap. Dans le cas dâun handicap moteur, on peut rendre accessible la voiture, aménager le bureau. Mais dans le cas dâun handicap mental, psychique, cognitif â on ne sait trop dâailleurs quel terme utiliser â, que faire ? Il est très difficile de noter par écrit, de manière formelle, ce dont on a exactement besoin pour compenser un tel handicap, même avec de bonnes aptitudes de verbalisation. Supposons que je sois très mauvais entrepreneur : si je crée une entreprise, elle fera faillite. Donc, je demande une compensation à la MDPH. Mais à quel point puis-je faire cela ? Après tout, il y a beaucoup de mauvais entrepreneurs dans la société. Est-ce que cela veut dire que tous peuvent légitimement demander compensation ? Quâest-ce qui relève exactement du handicap ? Et même, poussons lâanalogie plus loin. Supposons que la MDPH mâoffre une pleine compensation pour mes affaires ratées. Je pourrais dire que, virtuellement, jâaurais pu devenir un grand banquier, mais que du fait de lâautisme, cela nâa pas marché, et donc demander une compensation correspondante. Supposons quâelle soit accordée. Compenserait-elle réellement mon handicap ? Non. Jâaurais peut-être de lâargent sur mon compte, mais ma vie serait toujours la même, à savoir compliquée, avec la même difficulté à aller vers les gens, à faire ceci ou cela. Mais nâoublions pas que, naturellement, nulle MDPH nâest si conciliante.
Par moments, porté par une humeur railleuse, je songe au terme « folie » et le compare à lâautisme. Il y a bien sûr ce livre, La Nef des fous , qui a exercé une grande influence sur mon histoire personnelle. Un ouvrage que je persiste à voir comme extraordinaire de modernité, y compris dans les gravures de Dürer qui lâillustrent. Puis, les ouvrages de Foucault. En somme, à lâévocation de la folie, foule de bons souvenirs me viennent à lâesprit, là où le handicap ne mâévoque que la blouse blanche ou un formulaire à remplir.
Par ailleurs, toute la richesse dâun livre tel que La Nef tient en ce quâil nây a pas de définition très claire de la folie. Elle est une vision du monde. Dans La Nef , il y a des petits chapitres, des petites rubriques pour chaque type humain, pour finalement englober toute la population. Auteur compris, naturellement : Sébastien Brant commence dâailleurs son ouvrage en grande pompe, se présentant comme docteur in utroque (câest-à -dire dans les deux droits), pour finir, dans le dernier vers, par dire : parce que je suis le fou Sébastien Brant. Quel parcours de sagesse ! Le lire fut pendant un temps mon bonheur.
Si on prend un autre classique, lâ Ãloge de la folie , dâÃrasme, là aussi il y a toutes sortes de niveaux de lecture, un style dâécriture
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