Jean sans peur
obéir à la reine !… Isabeau posa ses deux mains délicates sur les robustes épaules du colosse, et on eût dit que sous ce poids à peine sensible, il était prêt à fléchir. D’une voix grave, la reine prononça :
– Tu trembles, Bois-Redon ? Tu as peur ? Dis-le.
– Oui, dit Bois-Redon, j’ai peur. C’est vrai. Jamais je n’ai eu peur ainsi.
Un sourire livide glissa sur les lèvres d’Isabeau. Elle reprit :
– Tu as peur d’Impéria ?…
– Non, gronda le capitaine, dût-elle me dévorer sous vos yeux ! Je n’ai pas peur de mourir.
– Alors ?… Voyons, parle, dis-moi toute ta pensée. D’avance, je te pardonne.
– J’ai peur de ce que nous allons faire. C’est trop horrible.
Et il se courba, tête basse, implorant ce pardon qu’on lui avait promis d’avance et sur lequel il ne comptait guère. La reine se recula. Bois-Redon trembla. Isabeau, une minute, se tût, puis :
– Eh bien, va-t-en…
– Majesté ! bégaya Bois-Redon.
– Va-t-en, puisque tu as peur. Va-t-en. Je te chasse. Que jamais plus je ne te voie devant moi. Tu vois, je te pardonne. Je ne te fais pas saisir. Je ne te fais pas jeter dans cette Huidelonne qui t’inspire tant de terreur. Je ne t’exile même pas de Paris. Je te chasse de ma présence, voilà tout. Va-t-en.
Il y eut un souffle court de bœuf qui ne veut pas se laisser assommer. Il bredouilla :
– Tuez-moi, j’aime mieux cela… Vous quitter… m’en aller… ne plus vous voir… Ah ! vous en parlez à votre aise, Majesté. Mais est-ce que c’est possible ? Est-ce qu’on peut vivre en respirant un autre air que le vôtre ? Est-ce qu’on peut vivre sans vous voir ? J’aime mieux qu’on me crève les yeux ou qu’on m’arrache le cœur, ce que vous voudrez, mais ne me condamnez pas à cela. Que suis-je, Majesté ? Un gentilhomme dont la vie date du moment où là-bas, le jour de votre arrivée en Champagne, vous avez abaissé vos yeux sur lui. Depuis, je suis votre chien. Je ne vis que ce que vous me permettez de vivre. Je mourrai quand vous voudrez. Allons, Majesté, on tue son chien quand on n’en veut plus, on ne le chasse pas.
Le colosse parlait, avec un vague étonnement de s’entendre si longuement parler. Il ne pleurait pas, mais chacun de ses accents était un sanglot.
Il y avait en lui de la stupeur, de l’effarement, de la douleur, il ne savait quoi. La reine le considéra avec orgueil. Et, en réponse à cette naïve plainte, à cette poignante lamentation du capitaine, elle se dit seulement :
– Celui-ci est bien à moi !
Et du même ton qu’elle employait pour pardonner à Impéria :
– C’est bien, dit-elle, tu resteras.
Alors le colosse eut un soupir pareil à un râle de joie. Il était bien dompté, celui-là. Isabeau reprit :
– Oui, mais plus de pâleurs, hein ? Plus de regards effarés, dis ? Plus de battements de cœur, n’est-ce pas ? Rien que de l’obéissance. Tu l’as dit, je suis tout pour toi. Si je meurs, tu meurs, est-ce vrai ?
– C’est vrai, dit Bois-Redon, d’un accent de profonde sincérité.
– Eh bien, je mourrai si cette fille vit, tu comprends ? Je ne veux pas qu’elle soit la prisonnière de Jean de Bourgogne, car moi, j’aime Jean de Bourgogne, tu comprends ?
Bois-Redon accueillit sans la moindre surprise ni le moindre chagrin cette déclaration de la reine. Au fait, que lui importait qu’elle aimât ou non ? Lui n’était que le chien.
– Majesté, dit-il en reprenant, cet air de féroce candeur qui était la marque de sa physionomie, s’il ne s’agit que de la demoiselle de Champdivers…
Un geste redoutable acheva d’expliquer sa pensée de meurtre.
– Et demain, triple brute, tout le monde saurait que la reine, la méchante reine, a fait meurtrir l’Ange de l’Hôtel Saint-Pol… Non, capitaine, je ne suis pas encore assez reine pour décréter la mort et faire exécuter la sentence. Tandis qu’un accident est dans la main de Dieu. Un fauve peut s’échapper des cages et entrer dans un appartement. Cela s’est déjà vu.
Quelques minutes, Isabeau demeura pensive. En dessous, elle étudiait Bois-Redon. Mais le capitaine ne bronchait plus. La reine eut un sourire de satisfaction. Elle continua :
– Que fait le roi ? Es-tu parvenu à le savoir exactement !
– Le roi ne sortira pas cette nuit de ses appartements, car il est aux mains des deux guérisseurs que lui envoie Jean de Bourgogne.
La reine tressaillit
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