Jean sans peur
encore s’inclinèrent les bourgeois. Mais Caboche, après un bref signe de tête en forme de salutation, s’avança et prononça :
– Jean de Bourgogne est le bienvenu chez Caboche !
Jean Sans Peur s’avança vers une table toute chargée de gobelets d’étain déjà remplis de vin, en saisit un, et avec cette théâtrale simplicité qu’il savait prendre à l’occasion :
– Maître Caboche, dit-il, vous avez bu chez moi à ma prospérité, à ma gloire. Je bois ici au triomphe de votre espérance qui est la mienne.
Il choqua son gobelet contre celui de Caboche, et le vida d’un trait. Les seigneurs et bourgeois présents en firent autant. Il y eut des cris d’enthousiasme. Il y eut des menaces, des jurons, une sourde clameur monta de ce groupe d’ombres qui s’agitait dans la lueur rouge des torches, et enfin, dans la bande des seigneurs éclata ce cri :
– Mort aux Armagnacs !
– Mort aux tyrans ! dirent les bourgeois avec une nuance de voix qui indiquait que, pour eux, les Armagnacs n’étaient pas le seul ennemi.
– Vive la liberté ! dit Caboche, d’une voix si grave et si profonde que Jean Sans Peur et les siens en tressaillirent.
Quand ce tumulte se fut apaisé, Jean Sans Peur se tourna vers Caboche et ses amis.
– Messieurs les bourgeois, dit-il, j’arrive un peu tard au rendez-vous que vous m’avez assigné. Ce n’est ni par peur ni par dédain, comme a pu le dire maître Caboche. J’ai d’abord voulu savoir au juste ce que préparaient nos ennemis communs, les Armagnacs. Je le sais maintenant. Je vais vous le dire.
Un silence terrible s’établit dans la salle. Caboche ne perdait pas de vue le duc de Bourgogne, et à son air sombre, il devinait qu’il était porteur de graves nouvelles.
– Si cet homme est parmi nous, songeait-il, c’est qu’il a plus peur encore des Armagnacs que du peuple. Je dois donc lui vendre notre alliance le plus cher possible. Qui sait si notre liberté ne va pas sortir de cette entrevue ?
– Seigneurs et bourgeois, reprit Jean de Bourgogne, écoutez-moi. Et tâchons d’être d’accord non seulement sur la bataille qu’il va falloir engager, mais sur le partage des dépouilles si nous avons la victoire. Il faut qu’après le triomphe nul ne puisse dire qu’il a fait un jeu de dupe, pas plus vous que moi.
Ces paroles frappèrent vivement Caboche. Elles correspondaient à ses préoccupations secrètes. Il ne voulait nullement assurer le triomphe des Bourguignons sur les Armagnacs s’il ne devait rien sortir de bon pour le peuple. S’inclinant donc devant le duc de meilleure grâce qu’il ne l’avait fait à son arrivée :
– Monseigneur, dit-il, ce que vous dites là est sincère ; je puis, moi, vous assurer dès maintenant de la victoire. Laissez-moi vous remercier. Pour la première fois, on nous traite en alliés, on reconnaît notre valeur, on proclame que sans le peuple, rien de bon n’est possible. Alliance, donc, alliance royale, et nous donnerons jusqu’à notre dernier écu, jusqu’à notre dernière goutte de sang. Ah ! laissez-moi d’abord parler, monseigneur. Puisqu’il est question de partage qui doit se faire, vous devez apprécier notre part. Et pour cela, vous devez d’abord apprécier notre apport dans l’œuvre commune. Écoutez donc. La Cité !…
– Me voici, dit l’un des bourgeois en s’avançant.
– Combien d’hommes ? Combien d’argent ?…
– Deux cents hommes. Trois mille écus d’or.
À ce chiffre énorme de trois mille écus d’or, les seigneurs ouvrirent les yeux, émerveillés.
– Quoi ! dit Jean Sans Peur, tant d’argent et si peu de guerriers ?
– C’est la Cité, monseigneur, dit Caboche avec un sourire. C’est le quartier des marchands d’or. Ils font ce qu’ils peuvent. Mais écoutez ceci, maintenant. La Marine !
Un homme s’avança, petit, maigre, nerveux, et dit simplement :
– Quatre mille bons bougres tous armés, tous décidés à crever.
– Ah ! Ah ! fit Jean Sans Peur. J’aime mieux cela !
– Le Temple ! appela Caboche.
– Six cents hommes, mille écus d’argent.
– L’Université !
– Quatre cents écoliers enragés de bataille, ne rêvant que plaies et bosses !
– Ils en auront, ils en auront ! dit Jean Sans Peur.
Caboche continua l’appel des différents quartiers de Paris.
Chacun donna son chiffre en combattants, et en pièces d’or – autre genre de combattant. Ce fut avec un froid
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