Jean sans peur
ma tête la couronne de France, de tenir pour valables toutes les conditions que vous m’imposerez.
– Et vous, seigneurs ? demanda Caboche.
– Nous ratifions, répondirent les Bourguignons.
– L’un de vous sait-il écrire ? continua Caboche.
Les seigneurs se regardèrent, haussèrent les épaules, éclatèrent de rire. Non ! Aucun ne savait ou ne voulait avouer qu’il savait écrire :
– Toute cette ribaudaille est folle d’orgueil, murmura l’un d’eux.
– Eh bien ! dit tout à coup Jean Sans Peur, j’écrirai donc, moi.
Caboche tressaillit de joie. Non qu’il crût plus valable le traité parce qu’il serait de la main de Jean Sans Peur, mais ce qui lui était une rare sensation de puissance que de courber ainsi le redoutable féodal jusqu’à se faire scribe des volontés populaires. Et l’on vit ce spectacle étrange : le duc de Bourgogne s’assit à la table où des plumes, de l’encre, des feuilles de parchemin étaient disposées. Près du duc assis, Caboche debout appuya son poing à la table. Et il parla. À mesure qu’il dictait, Jean Sans Peur écrivait :
– D’abord, rétablissement de toutes les maîtrises et communautés de métiers. Rétablissement des dixeniers, cinquanteniers et quarteniers. Rétablissement de toutes congrégations.
– Ce sont les droits qui ont été abolis par le roi régnant, dit le scribe ; il est juste qu’ils soient rétablis.
– Ensuite, continua Caboche, il faudra aussi rétablir la prévôté des marchands, l’échevinage, son greffe, sa juridiction. Nous demandons que les rentes et deniers communs de la ville soient déclarés inaliénables et que le roi n’y puisse toucher sous aucun prétexte. Nous demandons que la juridiction qui est au prévôt soit transportée de droit à l’Hôtel de Ville.
– Tout cela est légitime, dit le scribe avec un sourire goguenard que Caboche saisit parfaitement.
– Nous demandons que tous métiers et confréries aient droit de se réunir sans aucune permission du roi ou de ses suppôts. Ces assemblées devront se tenir quand, où et comme il plaira aux corps de métiers.
« Nous demandons le droit de tendre les chaînes de nos rues, de nous armer, de choisir par élection nos prévôts et échevins. Nous demandons le droit d’acheter le sel où bon nous semble et au prix que nous voulons. Nous demandons le droit de ne rien payer au confesseur. Nous demandons que le luxe des femmes nobles soit réduit à de justes proportions. Nous voulons enfin que dans le conseil du roi nous puissions faire entrer des hommes que nous aurons choisis et qui seront nos porte-parole. Nous demandons que le roi ne puisse rien faire qui n’ait été ratifié par nos conseillers… que nos impôts surtout soit soumis à une vérification de ces mêmes conseillers…
Caboche s’arrêta. Le grondement de sa voix s’était accentué. Lui-même comprenait que des paroles définitives allaient sortir de ses lèvres brûlantes.
– C’est tout ! dit-il brusquement. C’est tout pour le moment, ajouta-t-il en lui-même.
Le scribe duc avait écrit avec une sorte de rage. Chaque parole de celui qui dictait était une offense mortelle pour la noblesse, un lambeau de privilège qui s’en allait au vent.
Jean Sans Peur signa. Il tendit le parchemin à Caboche qui le passa à un bourgeois, lequel savait lire et se mit en effet à relire à haute voix toute cette énumération. Quand ce fut fini, Caboche, une fois encore, demanda :
– Messeigneurs, êtes-vous décidés à nous donner ce que nous demandons ?
Et tous, d’une seule voix, répondirent encore :
– Nous ratifions !
Ils ratifiaient un projet de traité qui, tout compte fait, jetait les bases d’une monarchie constitutionnelle. Alors Caboche se tourna vers le duc de Bourgogne et, d’une voix grave, lui dit :
– Monseigneur, dès ce moment, vous êtes notre chef. Nous vous jurons obéissance jusqu’à extermination complète de nos ennemis communs. Quand vous nous donnerez le signal, nous serons prêts.
– C’est bien, dit Jean Sans Peur. Un de mes gentilshommes vous apportera le mot d’ordre.
– Lequel ? fit Caboche.
– Celui-ci, dit le duc de Bourgogne.
Et il désigna Courteheuse qui s’inclina.
– Messieurs les bourgeois, reprit Jean Sans Peur, je compte sur vous. Comptez sur moi !
C’était la fin de la conférence.
– Ouf ! songea le chevalier de Passavant. Il est temps que cela finisse. Je n’en
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