Jeanne d'Arc Vérités et légendes
et ne la comprenaient pas. Le
roi l’enviait peut-être. Était-il disposé, lui l’héritier de Clovis,
Charlemagne et Saint Louis, à être éclipsé par une fille de rien ? Il
croyait au prophétisme mais il négociait parallèlement avec les Bourguignons.
Tant que la carte serait utile, il la jouerait. Un point, c’est tout. Quant à
Renaud de Chartres, il se méfiait de cette fille qui parlait directement à
Dieu, en court-circuitant la médiation des clercs. Le charisme prophétique n’a
pas vocation à devenir une institution. Jeanne était en un sens un défi pour
l’Église comme pour le roi.
Le procès en condamnation s’efforça de prouver au contraire
que Jeanne avait été un faux prophète. Bien que vierge, elle était pécheresse.
Orgueilleuse de ses dons, elle avait cherché à en tirer profit (l’histoire de
Jeanne est aussi l’histoire d’une ascension sociale, les juges de Rouen l’ont
compris). Ses voix étaient mauvaises et sa mission n’avait apporté que
rébellion, guerre et ruines. Et tout ce qu’elle avait prédit ne s’était pas
réalisé. Le roi Charles n’était pas encore entré dans Paris.
Mais, lors du procès en nullité de 1456, Charles avait
récupéré sa capitale (en 1436), le duc d’Orléans avait été libéré (en 1440) et
les Anglais boutés hors de France (en 1453). En somme, tout ce que Jeanne avait
annoncé s’était réalisé, à une exception près : la croisade. Les avocats
du roi purent donc tirer de son action un bilan plutôt positif et considérer
que sa parole avait été « globalement vraie ».
Une fois Jeanne morte, le phénomène prophétique se résorba
lentement, mais il y eut des Jeanne après Jeanne, comme il y avait eu des
Jeanne avant Jeanne. Il fallut attendre le retour de la paix, de la prospérité
et la mort du roi Charles pour que la parole des prophètes regagne à nouveau
l’ombre d’où elle ressortirait… à la prochaine.
5 Vraies voix ou supercherie ?
Les voix de Jeanne sont un problème sans solution. Les
Armagnacs pensaient qu’elles venaient de Dieu, les Bourguignons qu’elles
venaient du diable. L’idée d’une supercherie est plus récente. Quelles qu’elles
aient été, elles ont fonctionné comme du vrai.
Jeanne avait treize ans quand elle entendit des voix dans le
jardin de son père, un jour d’été, en plein midi. Une grande lueur apparut à sa
droite du côté de l’église et la voix lui dit comment être une « bonne
enfant ». D’abord terrorisée, elle s’habitue à la voix, qui lui semble
être celle d’un ange. Il lui dit la « grande pitié du royaume de France »,
veut l’envoyer vers le roi. « Moi je ne suis qu’une pauvre fille, lui
répond-elle. Je ne sais rien de la politique ni de la guerre. » La voix
augmente en fréquence et en nombre. Il y a ainsi trois voix dès son départ pour
Chinon, lesquelles forment son conseil, qu’elle préfère à tous les conseils
humains. À son arrivée à Chinon, elle délivre au roi le message de l’ange. Mais
très peu nombreux sont ceux qui savent alors dans l’entourage royal que les
voix reviennent. La question sera évidemment posée à Poitiers. En quelle langue
parlent les voix ?
« Bien meilleure que la vôtre », répond-elle au
clerc limousin. Ces voix, pourquoi parleraient-elles anglais, dira-t-elle plus
tard, puisqu’elles ne sont pas de leur côté ? »
Il est vrai que sur la langue qu’auraient parlée au Paradis
Adam et Ève ou sur celle que parlaient les anges, les théologiens étaient
divisés. Parlaient-ils hébreu, araméen comme Jésus ou bien l’une ou l’autre des
langues liturgiques ? Le français n’était après tout qu’une langue récente
dont le succès européen datait du XIII e siècle. « Heureux comme
Dieu en France », disait-on depuis. Si j’avais, disait Dieu, trois fils,
j’aurais fait du premier un empereur, du deuxième un pape et du troisième un
roi de France. En somme, si l’ange de Jeanne parlait français, c’est qu’il
était doué, comme les apôtres après la Pentecôte, du don des langues ou tout
simplement que la pauvre Jeanne ne parlait que cette langue.
Aussi les conclusions de Poitiers furent-elles absolument
muettes au sujet des voix. Il n’était pas indiqué évidemment de faire passer
l’inspirée pour folle. Ce ne fut donc pas un total black-out, mais presque.
Jeanne elle-même se montra très discrète, rabrouant ceux de ses compagnons qui
se
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