Jeanne d'Arc Vérités et légendes
sont formées, au camp anglo-bourguignon, qui les ignorait
jusque-là. Il était logique que ce passage d’un camp à l’autre finisse par se
faire. Puisque tous croient que le héros ne meurt jamais…
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Vraie Claude, fausse Jeanne
La dame des Armoises reste historiquement assez mal
connue, sauf pour la période 1436-1440. Une seule chose est sûre dans cette
vie : Claude n’est pas Jeanne !
Peu après la chute de La Rochelle, le cardinal de Richelieu,
raconte l’historien Olivier Bouzy [51] décide de reprendre à son compte le symbole de la Jeanne antiprotestante
élaboré par les ligueurs en 1588. Il compte ainsi faire coup double :
couper l’herbe sous le pied des ultra-catholiques tentés par l’alliance
espagnole et montrer que le royaume de France a été depuis toujours protégé par
Dieu. Jeanne est un effet de cette protection particulière. Peut-être même
envisage-t-il de faire canoniser la Pucelle. Le long poème de Chapelain qu’il a
commandé multiplie les allusions à la « sainte fille » inspirée par
Dieu. Là-dessus, le cardinal meurt en 1642. Tous les écrivains de son entourage
se retrouvent sans patron et sans solde.
Parmi eux, le père Vignier. Nombre de pièces médiévales
étaient déjà sorties de sa plume fertile. Il semble être passé au service du
comte de Sermoise. À l’époque, les familles nobles étaient de plus en plus
souvent obligées de fournir des preuves de noblesse et des généalogies pour
pouvoir continuer à jouir de tous leurs privilèges et des exemptions d’impôts
qui allaient avec.
Vers 1630, les familles du Lys et de Tournebu avaient déjà
totalement verrouillé la descendance des deux frères de Jeanne. Restait la
Pucelle elle-même (qui, par définition, n’avait jamais eu d’enfant !). À
moins qu’elle n’ait pas été brûlée et qu’elle ait réapparu à Metz en 1436 sous
la forme de Claude des Armoises, cette femme qui se disait la Pucelle. Ses
descendants, les Sermoise, se retrouvaient, dans ce cas, dotés d’une ancêtre
des plus prestigieuses, pourvue d’un acte d’anoblissement de Charles VII
des plus extensifs : tous les parents, hommes ou femmes, présents ou à venir,
de Jeanne étaient considérés comme nobles.
Le père Vignier se mit au travail ; il redécouvrit la
chronique du curé de Saint-Eucaire de Metz, qui est à coup sûr la meilleure
source sur Claude. Et, comme il fallait surtout prouver la parenté, il aurait à
cette occasion fait ressortir des archives familiales le fameux contrat de
mariage entre Robert et Claude, dont tout le monde parle mais que nul n’a vu.
Ou, plus exactement, tous ceux qui l’ont vu sont morts avant d’avoir pu le
transcrire ou le photographier ! Vignier était parfaitement capable de
fabriquer la pièce manquante. Le comte en fut très content. Toujours est-il que
c’est par un article dans le Mercure galant en 1683 sous le titre
« Curiosités historiques utiles à l’histoire de France » que
Guillaume Vignier, capitaine du château de Richelieu de 1662 à 1684, fit
connaître au grand public les découvertes de son frère.
Peut-on dire que les historiens refusèrent d’en tenir
compte ? Quand Quicherat, vers 1850, consacre cinq volumes à la
publication de toutes les sources connues de son temps concernant Jeanne, il
regroupe aux pages 322-336 du tome V pratiquement toutes les pièces sur
Claude, qui sont aujourd’hui présentées comme mystérieuses et inédites par les
mythographes. Ne furent découverts par la suite que le pari entre les deux
Arlésiens de 1437-1438 et le registre des sauf-conduits de la ville de Cologne
pour 1436. Ces deux textes concernent à coup sûr Claude des Armoises, alors à
l’apogée de sa célébrité.
En revanche, deux autres textes publiés en 1871 et 1879
posent problème aux historiens comme aux mythographes : entre 1449 et
1452, une femme se fit reconnaître comme la Pucelle par des cousins de Jeanne
habitant Sermaize ; et, au printemps de 1457, le roi René d’Anjou accorda
son pardon à Jeanne de Sermaise, qui se faisait passer pour la Pucelle et
abusait ainsi les habitants de Saumur, à condition qu’elle cessât de se
prétendre telle et de porter l’habit d’homme. S’agit-il toujours de Claude des
Armoises ?
Si les historiens mentionnent toujours la question dans
pratiquement tous leurs travaux sur Jeanne d’Arc (le chapitre 16 de ma Jeanne d’Arc [52] par exemple), il est vrai qu’ils sont mal
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