Jeanne d'Arc Vérités et légendes
imbéciles. Les questions
qu’on leur a posées sont factuelles (« Qu’avez-vous vu ce
jour-là ? »), elles n’ont rien de théologique.
Adoptons les critères des mythographes. Il me reste quand
même au moins 4 témoins, 2 clercs et 2 laïcs. Les deux dominicains Isembard de
la Pierre et Martin Ladvenu restèrent avec Jeanne du matin vers huit heures
jusqu’aux environs de midi, où elle fut brûlée. Ils lui parlèrent à plusieurs
reprises jusque sur le bûcher. Et ils ne peuvent, pour des raisons évidentes
(dominicains et franciscains se jalousaient), appartenir à l’Internationale
franciscaine !
Côté laïc, avec ces critères très XX e siècle, il
ne me reste qu’un avocat (Jean Fave) et un médecin. Guillaume de La Chambre
était en 1431 l’assistant du médecin du comte de Warwick. Il avait examiné Jeanne
lorsqu’elle avait été malade dans la prison de Rouen. Lors de l’exécution, il
était bien placé. Il fut présent lors de la dernière prédication faite au Vieux
Marché de Rouen. À la fin de ce sermon, Jeanne fut brûlée. Elle faisait de
« si pieuses lamentations et exclamations que nombreux étaient ceux qui
pleuraient. Mais quelques Anglais riaient ». Puis Jeanne se mit à crier
Jésus ; enfin, « elle disparut dans le feu ».
Celle qui
reviendrait de toute façon
Jeanne était morte avant d’avoir vingt ans, laissant une
mission inachevée et des partisans abasourdis. Certes, les Anglais avaient pris
bien des précautions pour prouver sa mort : une exécution publique, un
corps exhibé et des cendres jetées dans la Seine pour éviter la sorcellerie.
Mais ces précautions mêmes les desservirent. Il n’y eut ni cadavre ni tombeau.
Jeanne semblait s’être évanouie dans le néant alors que l’espoir qu’elle avait
suscité, lui, était toujours là. Bien d’autres avant elle, morts dans des
circonstances tragiques, étaient un jour revenus, du Christ lui-même, qui
ressuscita, au roi Charlemagne, endormi dans la montagne, ou au preux Arthur,
parti pour l’île enchanteresse d’Avallon.
L’idée que Jeanne avait survécu apparut immédiatement. On
imagina que la Pucelle s’était échappée et que les Anglais n’en avaient rien
dit. Elle avait fait, au cours de sa captivité, plusieurs tentatives d’évasion,
dont l’une avait bien failli réussir. Elle avait aussi, à Rouen, obstinément
refusé de donner à ses juges sa parole de rester sagement en prison. N’est-ce
pas le droit de tous les prisonniers que de tenter de retrouver leur
liberté ? Sainte Catherine, qui la protégeait, avait la réputation
d’ouvrir miraculeusement les serrures les plus compliquées. Le bruit courait en
outre que Jeanne volait.
Que Jeanne revienne était donc dans l’ordre des choses, mais
après une période d’absence ou de pénitence qui lui permettrait de purger le
péché d’orgueil que Renaud de Chartres, par exemple, lui attribuait. Plutôt
qu’une résurrection, on espéra que la Pucelle avait échappé à la mort –
une autre ayant été brûlée à sa place -, puis qu’elle avait été cachée
miraculeusement et qu’elle le resterait jusqu’au jour prévu par Dieu pour son
retour.
Cette croyance apparue en Lorraine, où Jeanne était née,
comme dans la vallée de la Loire, où elle avait accompli ses exploits, se
diffusa lentement au gré des victoires du roi à Paris puis en Normandie, sans
jamais faire l’unanimité.
« Finalement, les Anglais la firent brûler publiquement
ou autre femme semblable à elle, de quoi moult gens ont été et sont encore de
diverses opinions » (Chronique normande).
« Elle fut baillée aux Anglais qui en dépit des
Français la brûlèrent, ce disent-ils, et les Français le nient »
(Champier, 1503).
Ou encore à Paris en 1440 : « Maintes personnes
croyaient que, par sa sainteté, elle se fût échappée du feu et qu’on en eût
arse une autre à sa place, croyant que ce fût elle. »
Mais les historiens préfèrent alléguer un autre texte, celui
de Georges Chastellain, le chroniqueur officiel du duc de Bourgogne.
Pourquoi ?
Arse à Rouen fut en cendres
Au grand dam [dommage] des Français
Donnant puis [ensuite] à entendre
Son revivre autre fois.
Curieuse lubie ? Pas seulement. Ce poème est très
précisément daté (1463), il est dédié à la reine d’Angleterre, l’épouse
d’Henry VI. Il marque donc le passage des croyances survivalistes du camp
armagnac, où elles se
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